Dix nouvelles médiévales illustrées par l'auteur
J’avais l’habitude d’aller méditer dans le jardin de l’Évêché, mais ce jour-là, en passant devant la librairie, je décidai plutôt d’acheter un livre. En arrivant, j’empruntai le petit escalier délabré qui conduit au cabinet de Bossuet mais, ce jour-là, une chose inattendue se produisit ; sous l’if où je m’asseyais d’ordinaire, un chevalier qui s’était défait de son armure transpirait à grosses gouttes en grommelant dans un français oublié. En prêtant attention, je compris qu’il évoquait la bataille de Crécy et l’infortune de l'armée du royaume de France mise à mal par les archers anglais. Je n’en revenais pas ! Passionné de science-fiction, je crus m’être faufilé par une de ces fameuses portes induites qui s’ouvrent sur d’autres mondes. À travers la brume d’octobre qui accentuait l’effet de sfumato, je scrutais son visage buriné, zébré de profondes cicatrices ; il expliquait que la semaine précédente, la pluie n’avait cessé de tomber et que les chevaux, de l’eau jusqu’aux boulets, s’enlisaient toujours plus, rendant toute charge impossible. Médusé, j’esquissai quelques mots, mais c’était peine perdue, nous nous trouvions dans des espaces-temps différents. Une fée s’était assise sur le pommeau de son épée, elle jouait merveilleusement de la viole de gambe, j’étais transporté dans un monde onirique et mystérieux. L’intrusion d’un petit faucon battant bruyamment des ailes interrompit le charme, il s’envola en émettant des cris aigus, le chevalier s’estompa, et tout redevint calme.
À force de voyager dans mes rêves, j’avais pénétré un univers énigmatique, et je pense encore que le terme folie pouvait s’adapter à la situation. Je refermai mon livre avec la certitude que ce que nous ne pouvons expliquer nous pousse en avant. Posé contre un mur du jardin Bossuet, un bouclier rouillé n’attira jamais la moindre curiosité des quidams, mais ne voit-on jamais que ce que l’on veut voir ?






 
LE LIVRE MAUDIT
 
Ce matin-là, Louis IX nous avait réunis, nous, ses plus fidèles chevaliers. Nous nous serions bien passés d’une huitième croisade ! Je me sentais l’esprit si réfractaire que cette obstination s’attachant à sauver le Saint-Sépulcre, un stratagème hypocrite de la papauté bien décidée à s’imposer en Orient à travers nous, me mettait mal à l’aise. Cependant, ma situation ne m’octroyait pas le loisir de résister à notre roi et, finalement, je me croisai. Pour des motifs stratégiques et nébuleux à mes yeux, il voulut faire escale à Tunis. À ce moment-là, nous ignorions que cette halte allait transformer cette campagne belliqueuse – nous devions nous rendre à l’évidence – en catastrophe, car Louis IX y trouva la mort.

Cette épopée nous laissait un goût amer en bouche, le cœur n’y était plus. Je pensais également que notre façon d’agir nous conduisait à une cuisante défaite ; les Sarrasins ne se convertiraient pas, ils n’abandonneraient jamais leurs terres, il ne fallait pas être prophète pour comprendre cela, et l’histoire me donna raison vingt ans plus tard ; en 1291, la prise de Saint-Jean-d’Acre par les mameluks brisa nos derniers rêves, bien trop ambitieux.
 
LES HOMMES SANS TRAITS
 
Le jour, la chaleur les terrassait, mais la nuit venue, des chuchotements, des déplacements furtifs, des silhouettes échappées d’un théâtre d’ombres les assaillaient, extirpant de leur subconscient la facette obscure de leur vie. Depuis combien de temps marchaient-ils le long de ces sentes étroites dont les parois égratignaient leur sac à dos, et pourquoi se sentaient-ils accablés sous le poids des ans ? La situation amusait leur guide, il avait pourtant accompagné des curieux de tout poil… Quelle randonnée !


Ils avaient quitté Paris sur un coup de tête, un coup de folie, subjugués par les allégations d’un étrange bonhomme vêtu de bure, installé dans l’un des balcons en demi-cercle du Pont-Neuf, qui répétait avec conviction : « Ils sont revenus, les cent trente-huit, et nous les vengerons jusqu’au dernier ! » Une litanie mystérieuse qu’il était le seul à comprendre.
À cette époque, ils ignoraient qui étaient ces cent trente-huit, jusqu’au jour où ce croisé des temps modernes leur adressa la parole : « Voyez-vous, jeunes gens, le Pape les a abandonnés... Clément V, bien entendu, ne tombez pas des nues ! et ils ont été livrés aux agents du roi comme de vulgaires voleurs. Vous devriez lire leurs interrogatoires, un rouleau de parchemin de vingt-deux mètres, tous les chefs d'accusation reprochés y figurent. Quand des puissants sont mêlés aux affaires, on trouve toujours des boucs émissaires ; d’ailleurs, rien n’a changé ! » L’un d’entre eux avait demandé : « Mais qui êtes-vous donc ? » et l’homme avait répondu d’un ton assuré qui ne prêtait pas à rire : « Jacques de Molay, grand maître de l’ordre du Temple, que le conseil royal condamna au bûcher en 1314. Et je suis revenu pour témoigner. »
 
LE JOUR DU PARCHEMIN
 
Depuis toujours, la solitude accompagnait Foca, il s’y complaisait et ça tombait plutôt bien ; et pourtant, en allant au château chercher la nourriture pour ses loups, il ne pensait qu’à Éléonore…

« J’ai appris beaucoup plus tard, Éléonore, que le temps avait fini par briser votre famille et que votre père n’étant plus en odeur de sainteté à la cour, le roi vous avait relégués dans ce manoir en ruine, un cloaque indigne de miséricorde. Qui pouvait régner sur ce faux royaume de Thulé, un lieu compris entre de verts pâturages et d'ingrates montagnes que Dieu avait, sans l’ombre d’un doute, oublié d’achever ? »

Il imaginait Éléonore sagement assise près de sa mère empêtrée dans ses laines et ses quenouilles enchevêtrées, souriant de ses efforts à la lumière des flammes d’un feu moribond qui se reflétait sur le buffet voisin de l’âtre. Quant à son père qui se targuait d’avoir pour compagnons les plus grands maîtres d’armes de l’Espagne mauresque, il passait son temps à contempler ses épées, particulièrement celles fabriquées à Tolède. Se figurait-il que leurs incrustations d’ivoire et de nacres les plus rares et même de pierres précieuses rendaient la mort plus douce ?


« J’ai gardé en mémoire le Noël de l’année 1300. J'étais venu chercher le pain rassis qui par ce rude hiver rassasiait mes loups ; moi aussi, je l’aimais, car votre senteur fraîche de glycine s’y était imprégnée. Un silence sépulcral pesait sur votre vaste salle commune ; de grosses bûches de sycomore brûlaient sous des sarments de vigne dans l’immense cheminée où le diable et quelques bêtes cornues de ses inventions auraient pu siéger en toute tranquillité. Le conduit ramenait vers mes narines habituées à de bien pires odeurs un parfum de résine qui embaumait. À intervalles réguliers, votre père éructait, votre mère s’indignait… leur absence de dialogue m’avait surpris. »
 
LE CAVALIER OUBLIÉ
 
Gunther s'avachissait sur sa monture, s’enlisant dans des pensées crépusculaires. Bien loin de Brême, la ville de son enfance, il ressassait sa vie. Une fois de plus, elle lui jouait des tours. Les années se suivaient, et si ce n’était la reconnaissance de l’ordre Teutonique comme ordre militaire par le pape, 1198 n’avait rien d’exceptionnel. Que lui restait-il de sa noblesse germanique, de son goût pour la musique, de ses amis ? Des bribes de souvenirs, des chants devenus murmures, de vagues visages qui le confortaient dans la certitude qu’il voguait vers un vide qui le fascinait.

À l’horizon, comme une mâchoire ouverte sur le néant, les montagnes semblaient absorber un ciel lourd et menaçant, la brume s’incrustait. La douleur le tenaillait, elle s’était divisée pour mieux le cerner, fusant de toute part pour lui rappeler qu’il était encore vivant. Le coutil de sa chemise collait à la blessure d’où s’écoulait un sang noirâtre ; lorsque son cheval ne bougeait pas, il parvenait à coaguler, mais au moindre de ses mouvements, il s’emballait. Les microbes barbotaient, sautillaient, titillaient ses nerfs et, défiant les lois de la gravité, son centre vital explosait en éclats.
À travers la fente rectiligne de son heaume, il voyait peu à peu se dessiner des silhouettes alors que la colline sur laquelle les croisés devaient se regrouper avant la nuit s’éloignait progressivement. L’impression de n’être qu’un pion sur un échiquier s’insinuait insidieusement dans son esprit, le pion d’une étonnante machine de guerre. Pauvre chevalier au lustre terni par des rayons de lune, assis sur le cul d’un monde dérisoire, et simplement soucieux de trouver eau, subsistance et soin ! Des oiseaux noirs attendaient, patiemment. Le noble de Brême finirait bien par tomber de son socle-cheval qui piaffait d’ennui.
 
LES SEPT PLUMES
 
Seul le vent charriant des odeurs d’humus et de vase troublait ce pays de brume et de brouillard. Dans l’instabilité du couchant, un groupe de cavaliers noirs creva le décor et entra dans la ville. Ils mirent pied à terre sur la grand-place et ôtèrent leur heaume qu’ils posèrent auprès de leurs impressionnants chevaux caparaçonnés de somptueux tissus brochés de fleurs de lys or et blanc. Les écuyers se précipitèrent alors qu’ils s’acheminaient vers les lieux d’hébergement, et que ménestrels et bonimenteurs s’installaient pour divertir la foule avant le tournoi ; les deux plus jeunes gesticulaient déjà sur des tréteaux et haranguaient les passants :


« Oyez, oyez gentilshommes et gentes dames, l’histoire du jeune prince de Nienburg, inconsolable à la mort de son père ! »


Quelques personnes s’étaient arrêtées, attentives. Le plus petit s’avança, alors que le second, en retrait, mimait la scène :


« À la mort de son père, Wilhelm reçut en héritage un château en Basse-Saxe ainsi qu’une bibliothèque de plusieurs milliers d’ouvrages. Certains paraissaient rudimentaires comme ces parchemins enroulés sur des tiges de bois et couverts d’une fine écriture qu’il ne comprenait pas, mais beaucoup d’autres étaient richement décorés, c’était ceux qui lui plaisaient le plus. La tristesse l’accablait, alors il décida qu’il les consulterait tous, un par un, pour occuper son temps et son esprit, et pour en acquérir connaissance et sagesse. Il commença par les plus beaux, les plus colorés, et dans un grimoire, il lut qu’un jour un homme féconderait la brise du sud. Il ne pouvait mettre en doute la parole des maîtres, et cette idée l’aida à accepter l’énigmatique absence de sa mère puisqu’Isabeau, sa gouvernante, refusait de répondre à ses questions. »
 
LE CHEVALIER À L'ARMURE ROUILLÉE
 
Hugues de Morte-Pierre, chrétien d’Occident, vivait pleinement ses rêves de pouvoir et d’argent dans les États latins du Levant ; déposséder autrui pour revenir avec richesse et honneurs le divertissait. Affaibli par de multiples blessures lors de la prise de Dorylée, en 1097, il était devenu exécrable, affinant sa personnalité au point de ne plus avoir que des ennemis ; certains pensaient qu’il avait fait de la cruauté son unique but dans la vie, et cela lui convenait. Cette déchéance l’avait exclu de toute festivité et l’avait relégué au rang de féodal à la gloire éphémère. Il ne consacrait plus son temps qu’à la chasse. L’instant où l’animal succombait lui apportait une forme de béatitude, l’illusion d’être invincible, et les cadavres s’amoncelaient autour du château, assurant une copieuse pitance à la colonie de corbeaux qui s’y était installée.

Un matin, alors que la brume recouvrait l’étang d’un voile ouaté, il visa une colombe qui s’envola au sifflement du trait ; il était pourtant sûr de l’avoir touchée. Il n’avait jamais raté une cible, et si c’était le cas, il se jura bien que ce serait la seule fois. Son acrimonie le rendait invivable, et l’idée d’en finir avec une lignée qui lui pesait chaque jour davantage ne lui déplaisait pas. Maître incontesté dans le maniement des armes, il avait l’intime conviction qu’il serait capable de supprimer ses proches dans un moment d’emportement.


Les veillées se prolongeaient interminablement auprès de cette femme qui lui était devenue étrangère ; alors il trompait l’ennui en polissant son armure, préoccupé par la souplesse des gantelets, et ce contact qui ravivait le souvenir de ses exploits passés l’apaisait pour quelques heures. Derrière ses paupières closes s’animait le spectacle parfait d’un champ de bataille, les bannières au vent, le sable malmené par les chevaux, le face à face avec l’ennemi, l’assurance des cavaliers persuadés d'avoir le droit et la raison pour eux. La vanité creusait son lit entre papauté et royauté prétendant détenir l’unique vérité. Mais que cet hiver était long !
 
LE CORPS SAIT
 
Clovis descendait la rue de Rennes en direction de la gare de l’Est, un itinéraire qu’il aurait pu emprunter les yeux fermés, il le connaissait par cœur. Mais ce jour-là, il décida de faire un détour par l’église Saint-Sulpice car récemment, il y avait découvert un tableau évoquant les croisades qu’il voulait revoir. En traversant la rue Bonaparte, il ressentit une brûlure, une flèche lui transperçait un muscle à la base du dos. Un cauchemar éveillé, incohérent, et si cuisant qu’il s’évanouit au milieu de la chaussée.


Il revint à lui à l’hôpital. Le médecin lui apprit que, selon l’angle de pénétration, le projectile n’avait pu qu’être tiré de la fenêtre d’un immeuble. Jamais une altercation notable avec autrui n'avait perturbé sa vie, il ne pouvait s’agir que d’une « flèche perdue »… Un accident inexplicable ! Et il ignorait encore ce qu’un enchevêtrement d’évènements troublants lui réservait comme surprise !


Dans la nuit précédant sa sortie de l’établissement, une impression désagréable le réveilla, un corset de plomb haut de cinquante centimètres et de trois d’épaisseur lui emprisonnait les hanches. Qui avait échangé son pansement pour ce contraignant carcan, et quand ? Il se sentait dans un état mental particulier, probablement occasionné par la dose de morphine administrée la veille ; cependant, l’utilité de ce mystérieux appareillage l’inquiétait. Dans l’immédiat, Clovis voulait comprendre l’intérêt de cette chose disgracieuse et terriblement lourde qui l’handicapait. L’empreinte gravée qu’il y distinguait – une tête tranchée entourée de fleurs de lys et reposant sur un plat – accentuait le sentiment de malaise ; maintenant, une colère sourde qui annihilait toute tentative logique que sa nature pragmatique lui imposait montait en lui, il ne parvenait pas à la contenir. Les soins prodigués dans cet hôpital ne lui apportaient aucun apaisement, pas plus physique que psychologique, il décida de plier bagage dans les plus brefs délais.
 
LUNE ROUGE
 
Le Chevalier de Montlevent s’arrêta, intrigué par les reflets noirs du plateau basaltique. Tout l’univers semblait s'être déchiré pour ne laisser place qu’à des éclats de diamant et, dans ce ciel criblé d’étoiles, une lune rouge anormalement grosse dominait l’horizon. Une lune rouge comme le sang des pénitents, celui de ses fidèles compagnons disparus dans des eaux épaisses et visqueuses, au siège de Constantinople où, confronté à cette implacable fatalité, les mains implorant le néant, il avait pris conscience de l’impuissance des prières.
Sans but précis, il était parti vers le nord, las des combats, simplement pour s’éloigner des cris de détresse et des râles des mourants. Pour l’heure, il ne souhaitait que se débarrasser de sa cuirasse malodorante et de cette sueur intolérable qui torturait ses muscles, comme de cuisantes piqûres de fourmis.

L’ennemi rôdait encore, il mit cependant pied à terre. Ses jambes se dérobaient. Il s’appuya à la paroi et sombra dans un sommeil lourd et tourmenté, celui d’un chevalier en rupture de ban, à l’avenir incertain. La fatigue, accablante, décidait de tout : du temps de la trêve, de la qualité du repos, de la quiétude de l’esprit, et d’une certaine façon de son devenir.

Tard dans la nuit, un parfum suave d’hibiscus le réveilla ; il faisait froid, les nuits sont glaciales en Orient, mais il était seul, il pensa qu’il avait rêvé. Et pourtant, au matin, un bambin gazouillait dans sa cuirasse, bien abrité des vents de sable dans une couverture aux couleurs vives. Dans une France ordinaire, il aurait considéré cette apparition comme une intervention divine, mais dans ce milieu hostile, c’était une catastrophe, il allait devoir choisir entre sa propre sécurité et celle de ce visiteur inattendu ; mais l’option s’imposait d’elle-même. Il enfourcha son cheval et l’installa devant lui, puis il se retourna pour fixer dans sa mémoire le souvenir de ce lieu singulier.
 
LUC, MORT DU BOIS
 
Installé dans l’embrasure de la fenêtre, Florian observait un busard cendré fondre sur sa proie. Depuis toujours, les fenêtres illuminaient son existence comme des yeux anonymes et bienveillants ouverts sur le monde. Son père lui manquait. Assis dans le fauteuil qu’il avait conçu pour lui, en sécurité, les mains posées sur les roues, il ressentait terriblement son absence. Seul maintenant, victime d’une évidente dysharmonie, ses mots se perdaient, refusaient de sortir. C’était ainsi !

Le rapace avait disparu derrière l’unique vestige du château de ses ancêtres, une tour que les Stukas allemands n’avaient pas réussi à abattre, dressée comme un phallus, ornée d’une gargouille ne pouvant qu’être l’œuvre du Malin.

Il retourna à son bureau. Après s’être imprégné du paysage, il désirait feuilleter un petit ouvrage trouvé dans une bibliothèque de Düsseldorf, un recueil richement illustré qu’il avait déjà lu mille fois, le Roman de Luc du Boismort. Il l’ouvrit délicatement. La première page, une eau-forte, représentait un chevalier visiblement inapte aux affrontements, mais pourtant prêt pour en découdre. Leurs invalidités respectives liaient ces deux êtres d’une dimension affective bien que celle affligeant Florian ne semblât pas définitive. Il soupira en parcourant les premières lignes :

« Jadis vivait Luc du Boismort, chevalier un jour, mais ébéniste toute sa vie. Si ses jambes n’avaient jamais pu le porter, ses mains possédaient le don et son esprit l’inventivité ; avec l’aide de son apprenti, il avait fixé deux roues à un fauteuil, ce qui lui permettait de se déplacer sans difficulté d’un établi à l’autre. Ainsi, sous son ciseau se façonnaient de beaux visages, de gracieuses silhouettes, d’impressionnants bestiaires ou de délicats motifs floraux.
Depuis toujours, un rêve l’obsédait, inaccessible, les tournois le fascinaient. Et les nuits avaient dévoré bien des jours quand des joutes furent annoncées dans sa ville. Une absurde utopie puisqu’une infirmité l’empêchait de marcher, et pourtant, cette nouvelle transforma son existence, car à partir de cet instant, il consacra toute son énergie à rendre possible l’impossible. Il participerait à ce tournoi !
...
     
LE SIGNE
 
Quelques siècles plus tard…

Le pick-up s’était enlisé et Tanguy jurait pendant que Faustine essayait de minimiser l’incident. Bien sûr, ils étaient bloqués pour la nuit, mais il existe une solution pour chaque problème, et il suffisait de monter la canadienne qui se trouvait dans le coffre. Après tout, ils avaient toujours aimé l’imprévu !
La plaine s’étendait à perte de vue, seul un cimetière coupait l’horizon. « Tant qu’à dormir à côté des morts, allons faire connaissance ! » dit Faustine en riant. Tanguy haussa les épaules, il ne savait rien lui refuser, alors autant procéder immédiatement aux civilités. Le cimetière abritait des tombes très anciennes. Certaines avec des croix celtiques plus près du sol que du ciel, d’autres, aux inscriptions romaines pratiquement illisibles, et sous des ronciers, une plus large que Faustine dégagea comme elle put, à l’aide d’une branche. Elle frotta délicatement la mousse qui l’envahissait, mais elle n’y discerna ni noms ni dates, juste deux souriceaux enlacés, gravés grossièrement au centre. Elle pensa tout d’abord à des graffitis, mais en y regardant de plus près, elle constata qu’il s’agissait d’un travail artisanal, au burin, dans la roche calcaire.
Une femme âgée qu’ils n’avaient pas vu arriver leur proposa des châtaignes :
— Tenez... pour vous ! Vous êtes Parisiens ?
— Oui, et on s’est un peu perdus… On admirait les tombes. Il y en a de très vieilles, ici. Est-ce que vous savez quelque chose sur celle-ci ? demanda Faustine en désignant celle qui l’intriguait.
— Vous êtes tombés sur le caveau des amoureux... une sacrée histoire ! dit-elle en se grattant le menton.
— Et si nous les faisions cuire, ces châtaignes, pendant que vous nous la racontez votre histoire ! bougonna Tanguy qui, a priori, ne paraissait pas intéressé.
Tout en parlant, il commença pourtant à allumer des brindilles ; puis il ramassa une tôle, la posa sur des pierres qu’il avait disposées en carré et s’assit par terre, en tailleur.
— Ah, je te vois venir toi ! répondit-elle.
Puis, s’adressant à Faustine :
— Il en connaît un rayon pour draguer les vieilles, ton gars !
Ils éclatèrent de rire – d’un rire à réveiller les morts, mais pour ceux-là, il y avait prescription ! – et ils s’installèrent en rond autour du feu.
— Alors, voilà ! Celle que tu me montres, c’est celle de Margault et de Robin, ça remonte à loin… au XVIIe siècle ! Ils n’appartenaient pas au même monde, c’est ce qui dérangeait. Et un bon prétexte pour envoyer Robin aux galères ! Quand il en revint, ils n’étaient plus très jeunes ! Margault avait été déshéritée, mais Blanche, sa gouvernante, était restée avec elle. Ils vécurent ensemble quelques années, dans la misère, et c’est à leur demande qu’ils furent enterrés ici. Avec ces deux bestioles enlacées pour seule épitaphe.
Ce livre est édité par - Alain Daumont
78 pages couleurs —
Format : 21 x 29,7 cm
En vente sur Internet - Paiement sécurisé
Édition papier reliée : 36 €
ISBN 978-2-9171-0565-8
+ frais de port



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