Dix contes pédagogiques illustrés par l'auteur
130 termes expliqués

 

Le jour où l’on ne peut plus mettre ses petits gants et ses petites chaussures, il est temps de quitter l’enfance. Certains y restent éternellement, d’autres la fuient mais je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’ait dit : « Je n’en parle jamais ! » Du train électrique au royaume des fées, de la grosse locomotive à vapeur au royaume des enfants qui interrogent les étoiles, nous avons tous gardé en bouche la saveur d’un beau sucre d’orge. C’est parce que moi aussi j’avais gardé précieusement ce souvenir que j’ai pu écrire ce livre.
Ces dix contes sur le rêve, la différence et l’émerveillement de l’autre ont été écrits pour que l’enfance ne soit plus restrictive ; j’entends par là, qu’ils utilisent le rêve pour que ceux qui les liront aux plus petits y trouvent aussi leur compte en enlevant la rouille qui oxyde les souvenirs. Car, il n’est pas de pire épreuve que de vivre dans l’absence du plaisir. Nous sommes toujours à mi-chemin entre ceux qui posent les questions et ceux dont le devoir est d’essayer d’y répondre. Rien ne se fait sans amour. C’est peut-être cela notre quête du Graal.

 
L’ARBRE ECLATÉ DE CŒURALICE
 
Mâchouille lui prêta la plus belle de ses tortues, celle qui était orange. Ils faisaient des balades interminables en les écoutant ronchonner – peut-être ne savez-vous pas que les tortues ronchonnent lorsqu’elles sont sellées. Celle de Mâchouille – elle s’appelait Carmen – avait trouvé un baladeur ; elle butait souvent dans les obstacles parce qu’elle était distraite par la musique. Ce jour-là, le drame se produisit alors qu’elle esquissait un pas de danse sur un rock. Elle se prit les pattes dans les racines du vieux chêne et jeta Mâchouille à terre. D’après les arbres de la forêt, ce chêne devait avoir plusieurs siècles, ils l’avaient toujours connu ! Toutes ces années sur terre l’avaient éprouvé et ce grand trou sec et obscur à la base du tronc en était la preuve. Mangeouille qui n’avait pas son pareil pour faire des expériences pénétra à l’intérieur de l’arbre et, chose impensable dans la forêt de Cœuralice, il se referma sur elle.
Mâchouille resta sans voix. Un renard racontait ce qu’il venait de voir à un petit passereau pendant qu’un sanglier qui était en train de brosser ses petits n’en croyait pas ses yeux : « Par ma barbe de sanglier, si l’on m’avait raconté cette histoire, je ne l’aurais pas cru ! » Mais il fallait bien l’admettre, Mangeouille avait disparu.
 
LA GROSSE PATTE
 
Alfred avait dans son garage un vieux taxi anglais, du genre qu’on peut entrer dedans sans retirer son chapeau, avec l’intérieur en cuir bien patiné à certains endroits. Son ami Jules lui suggéra un jour : « Pourquoi ne joindrais-tu pas l’utile à l’agréable en utilisant ton taxi pour gagner ta vie ? Je connais quelqu’un qui transporte des animaux sauvages. Il suffirait que tu fasses blinder la vitre qui sépare le conducteur des passagers et le tour serait joué ! » Alfred lui répondit machinalement : « Et cette personne, il lui reste combien de doigts pour téléphoner à sa vieille maman ? »
Mais sa situation ne l’autorisait pas à faire le difficile. Il fignola lui-même sa voiture et après avoir passé une annonce, trouva un premier client à Saint-Cloud. Une dame avec un petit tablier blanc bordé de broderie anglaise lui ouvrit. Le cœur battant, il balbutia : « C’est pour le transport... » Elle le fit entrer dans le vestibule et lui demanda d’attendre quelques minutes.
Derrière lui, il entendit la voix d’une jeune femme, le client était une cliente :
— Je vous attendais plus tôt… mais, ce n’est pas grave ! Vous devrez faire très attention avec Sandra, elle a son petit caractère !
Sandra, c’était une panthère ! Assise sur son derrière, elle faisait déjà peur. Les jambes tremblantes, il ouvrit la portière arrière à l’animal qui s’engouffra avec complaisance dans le véhicule. Puis son interlocutrice lui posa deux énormes coussins dans les bras « pour ses petites pattes, elle est très fragile ».
Fragile ! pensa-il. Pourvu qu’elle ait pris ses cachets ! Sinon dans trois minutes, je vais être transformé en côtelettes !
 
LA CUVETTE DE TOURNESOLS
 
Mortimer, il dit toujours : « Tu devrais pas rester avec lui, tu n’es pas indépendante ! »

Mortimer, il sait de quoi il cause... C’est mon copain, un gros rat noir, formé à l’école de la vie. C’est vous dire le nombre d’attentats auxquels il a échappé. Je l’ai vu courir entre les tapettes, ça tapait par-ci, ça tapait par-là ! Les morceaux de gruyère sautaient dans tous les sens... On se serait cru un 14 juillet.

Mortimer, c’est mon héros ! Des fois, je l’imagine comme un géant qui chevaucherait un dragon.

N’empêche que Mortimer, il a pas toujours tort. Je vais vous expliquer…

 
LES SABOTS DE VERRE
 
Assis sur une bûche, Paolo regardait tomber les flocons de neige responsables d’un léger désordre sur la lagune. Au loin, Venise s’éveillait. La mer ondulait lentement sous le départ des premières gondoles dont la proue ressemblait à de beaux sabots qu’on aurait fixés là, en guise de décoration. De l’île de Murano , on entendait les premiers sons de cloche de la basilique Saint-Marc.

Paolo ne savait pas encore qu’il avait hérité du don de sa grand-mère, Lucia la maléfique, qui pétrifiait tout ce qu’elle touchait. Les archives du grand conseil de l’Inquisition disaient qu’elle savait transformer les hommes et les animaux en statue mais la mention : « Ceux qui ont le mal en eux, du menu larcin au crime le plus odieux » avait été omise. Lucia ne voulait pas rendre la justice ou s’y substituer mais il était préférable qu’elle ne croise pas la route de certains. Elle entra dans la légende le jour où elle emprunta le pont des soupirs .

En dehors de son métier, ce que Paolo aimait vraiment, c’était aider les plus défavorisés. Son état de maître verrier et les faveurs du doge le rendaient pratiquement intouchable. Les riches Vénitiens auprès de qui ses créations baroques faisaient l’unanimité ne partageaient pas ses idées sur la pauvreté, mais ils l’excusaient, à cause de son grand talent. « Il faut bien que jeunesse se passe ! » disaient-ils. Mais sa jeunesse n’avait rien à voir à cela.

Assis sur sa bûche, Paolo comptait les flocons comme d’autres comptent les moutons et c’est sûrement pour cela que, malgré le froid, il s’assoupit après avoir modelé un chat dans la neige. Une légère brûlure le réveilla, le libérant de son rêve. Mais était-ce bien un rêve ? Un matou rondelet glissa de ses mains. Il n’était pas de poils et de griffes mais en verre, comme ceux qu’il façonnait dans son atelier. Sa surprise fut grande. Comment, sans l’intervention du feu , avait-il pu réaliser cette pièce unique en son genre ?
 
CURIEUSE
 
Au milieu de l’après-midi, quelqu’un passa la tête dans l’entrebâillure de la porte :
— Alors les jeunes, le travail vous plaît ? Ce n’est pas trop compliqué ? Pour des employés discrets, la place est intéressante. Alors… vous ne voyez rien, vous n’entendez rien… bref, c’est un job cool !
Il repartit aussi vite qu’il était arrivé et Clara n’eut même pas le temps de lui demander où se trouvait la machine à café. Elle laissa Arthur à son travail et après avoir parcouru des couloirs neutres et tristes, elle surprit par hasard une conversation :
— La société perd de l’argent tous les jours. Nous avons besoin d’autres tueurs. Pas vos sacs de poils idiots et repus ! disait une voix à vous glacer le sang.
Elle regagna le bureau si vite qu’elle en oublia pourquoi elle l’avait quitté et raconta à Arthur ce qu’elle avait entendu. Arthur qui était d’un naturel prudent lui conseilla de faire son travail sans s’occuper du reste. Mais elle voulait savoir où elle avait mis les pieds et, la curiosité est un penchant tenace ! Elle décida que le lendemain elle s’armerait de courage et irait jusqu’au bout.

 
LA CHEMISE DU CHAT
 
Comme à la fin de chaque printemps, on s’active au village, on s’agite. Les fillettes des deux clans n’ont qu’une nuit pour fabriquer la chemise du chat. Maintenant, personne ne se souvient plus qui a été à l’origine de ce pari ; ni l’époque à laquelle il a vu le jour ; mais ce qui est sûr, c’est que pendant la nuit du 20 au 21 juin, la nuit du solstice d’été, la plus courte de l’année, les adolescentes doivent filer le lin puis le tisser. Ensuite, couper la chemise et la coudre… et parvenir à l’enfiler au chat. Et tout cela entre le coucher et le lever du soleil !

« Cousez, mes petites ouvrières… Cousez donc ! Je vous en réserve une bien bonne ! À ce que je vois, elles ont encore leur greffier , comme l’année dernière. L’est toujours aussi bourru , l’animal... Aaaah ! Je vais lui en faire baver à celui-là ! Travaillez… Travaillez bien en bas ! Et ça coupe ! Et ça coud ! Et ça pique ! C’est qu’elles s’énervent même les loustics ! Et ce chat… il a l’air complètement en dehors de sa fourrure ! Je me demande ce qu’elles ont mis dans sa pâtée. »

De temps à autre, une grand-mère apporte des tartines au fromage ; une seconde, une tarte coupée en parts ; une troisième de la tisane. Tout cela leur rappelle de bons souvenirs de jeunesse. Il est bien loin le temps où, elles aussi, elles devaient fabriquer la chemise du chat.

 
LES FÉES D'AMBRE JAUNE
 
En quelques heures, les rues sont jonchées de câbles électriques et d’ampoules et la ville prend soudain un air de fête. L’un des rois mages lui fait signe de s’approcher : « Regarde au centre de l’ampoule ! » lui dit-il.

Trois fées vêtues de robes en papier d’argent s’affairent autour d’un filament incandescent qui ressemble à un petit arbre nain en hiver. Elles se chauffent les mains sur ce feu improvisé et leurs ailes éblouissantes renvoient la lumière contre les parois des ampoules, leur donnant encore plus d’intensité. Jamais Adriana n’aurait imaginé un tel spectacle ! Comme elle aimerait que ses parents soient là ! L’une des fées devine ses intentions et lui fait signe que « non » de la main mais c’est trop beau, l’envie est trop forte. Elle rentre à la maison en criant :
— Je connais le secret des ampoules magiques ! Ce sont des fées qui sont à l’intérieur.
— Arrête de raconter des bêtises ! dit Antonio.
— Mais ce ne sont pas des bêtises ! Tu n’as qu’à venir avec moi !
Elle entraîne son père jusqu’à la grand’place mais la nuit tombe tôt en hiver et il fait déjà sombre ; alors, devant sa mine déconfite, l’ouvrier remet le générateur en route.
— Alors, tu me crois maintenant ? Tu les vois les fées qui font de la lumière ?
Mais Antonio ne voit que des ampoules électriques.
— Alors ! Tu les vois ? Je ne t’ai pas menti, hein, Papa ! répète Adriana.
Antonio marmonne :
— Qu’ont-elles d’extraordinaire tes ampoules ? Tu m’as fait déranger pour rien ! Tu ferais mieux de rentrer à la maison !
 
LE HÉRISSON ET LA PUCE
 
Thomas le hérisson est d’une grande bonté et son cœur bat très fort pour tous ceux qui lui demandent de l’aide alors pourquoi est-il exilé sur une île ?

Tout avait commencé trois ans auparavant, lorsqu’il avait rencontré Lucie, la puce aux yeux bleus. Il ne pouvait pas prévoir qu’il allait tomber amoureux. Malheureusement, elle avait déjà un gros ventre et pour Thomas, les ennuis débutèrent lorsqu’elle mit au monde, bien à l’abri de ses piquants, une multitude de petites puces . Car, chaque jour, Mélanie faisait tremper du pain dans du lait tiède pour Thomas et le drame éclata à cause de ce bol de lait !
 
LE SIROP POUR PUCERONS
 
Ce matin-là, le thème de la leçon de sciences naturelles était : les ravageurs du jardin. Et plus particulièrement : le puceron !
— Gaston, avant de t’endormir définitivement, as-tu quelque chose à me dire sur les pucerons ?
— Oui, maîtresse ! Ils viennent de Mars !
— Tu vas m’expliquer pourquoi…
— D’abord, ils sont tout verts… et lorsqu’ils rentrent leurs pattes, on dirait des soucoupes volantes ! D’ailleurs, c’est moi qui suis chargé de soigner ceux qui ont du mal à s’adapter à l’atmosphère terrestre.
— Bon ! Tu peux continuer à dormir, ça nous fera des vacances !
À chaque récréation, un cercle se formait autour de Gaston. Mais ce jour-là, les pucerons martiens… c’était l’événement !
— Si vous ne me croyez pas, venez chez moi voir ma clinique à pucerons ! dit-il à ses camarades. Mes parents sont aux champs, on a tout notre temps !
La joyeuse bande ne vécut que pour l’heure de la sortie et, ce jour-là, leurs pensées forcèrent sûrement la cloche de l’école à sonner plus tôt.
 
LE CHAT DE BERNARD PALISSY
 
À son réveil, le chat de Catherine de Médicis était sur ses genoux. Il ne se rappelait pourtant pas l’avoir pris dans ses bras. Il le caressa. Il était doux pour un chat en bois ; d’ailleurs il n’avait jamais remarqué qu’il avait des poils. Il mit cette inattention sur le compte de ses recherches et se remit au travail. De temps en temps, il se retournait pour regarder son étrange compagnon qui avait l’air content ; cela l’étonnait qu’une chose inerte puisse éprouver des sentiments. Sur le coup de midi, les cloches de la cathédrale sonnèrent l’angélus. Bernard eut l’impression que le chat n’était plus vraiment à la même place. Il pensa que cela devait être à cause du grand mystère de l’incarnation révélé trois fois par jour. Un peu inquiet pourtant, car l’un de ses amis avait eu, lui aussi, des visions, il se remit au travail vers treize heures en songeant : Pourvu que cela ne soit pas contagieux ! Lorsque le carillon de la cathédrale sonna l’angélus du soir, il s’arrêta, exténué.

La fin de la journée aurait pu se passer calmement si le chat, couché en rond dans un coin de la pièce, ne s’était mis à ronronner. Bernard considéra que la journée avait été trop dure, qu’il avait vraiment des hallucinations. Partagé entre la peur et la vérité, il s’en approcha et le prit dans ses bras. Le chat se laissa faire et se blottit contre lui, comme un vrai chat. Sa douce et agréable chaleur réconforta le céramiste qui chercha du regard l’animal de bois de Catherine de Médicis. Il avait disparu !

 
Ce livre est édité par - Alain Daumont
70 pages couleurs — Format : 21 x 29,7 cm

En vente sur Internet - Paiement sécurisé avec PayPal
Édition papier reliée : 36 €
ISBN 978-2-9171-0569-6
+ frais de port



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