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13e séance
   
     
     
 



 
Avant d’être un excellent réalisateur, José Giovanni est un remarquable écrivain. Jean Cocteau ne s’y était pas trompé quand il écrivait : « J’exprime ma reconnaissance à l’auteur d’un livre qui m’a ému : Le Deuxième Souffle. C’est une manière de chef d’œuvre ; l’intrigue, la langue, la noblesse des âmes, tout est remarquable ! » Ce livre avait été publié dans la fameuse Série noire, dirigée par Marcel Duhamel. L’année précédente, Roger Nimier avait fait paraître chez Gallimard « Le Trou » que Jacques Becker réalisera en 1959 avec dans les rôles principaux Raymond Meunier, Michel Constantin et Jean Keraudy. Giovanni avait adapté les dialogues et en était le conseiller technique.

Né le 22 juin 1923 à Paris, José Giovanni voit ses études interrompues par la guerre, une période riche en dérives dangereuses qui ne devait pas l’épargner. Il s’écarte des sentiers de la légalité et connaît la prison dont il sort à l’âge de trente-trois ans, après avoir échappé, grâce à son père, à la peine capitale. Il lui rendra hommage, regrettant de n’avoir su le faire de son vivant, dans son roman « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » qu’il adapte à l’écran en 2000 sous le titre « Mon père, il m'a sauvé la vie ! ». Son roman « Le Trou » est inspiré de sa tentative d’évasion.

À sa sortie de prison, il songe à quitter la France pour l’Australie mais son visa d’immigration lui est refusé et c’est grâce à ce refus qu’il écrira dans la Série noire. Après « Le Deuxième Souffle» viendront « Classe tous risques » et « L’Excommunié » en 1958, « Histoire de fou » en 1959, « Les Aventuriers » en 1960, « Le Haut-Fer » en 1962, « Ho ! » et « Meurtres au sommet » en 1964, « Les Ruffians » en 1969, puis « Mon ami le traître » en 1977 et « Le Musher » en 1978. L’une des forces de Giovanni, c’est son univers typiquement personnel. Ses romans n’ont rien à envier aux plus grands romans étrangers. Il inspirera Claude Sautet pour « Classe tous risques » en 1960 avec Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo, et Jean-Pierre Melville pour « Le deuxième souffle » en 1966 avec Lino Ventura, Paul Meurisse et Raymond Pellegrin. Mais il comprend très vite que pour traduire son univers viril, humaniste, il sera mieux servi par lui-même ! En 1966, il passe derrière la caméra. Ce sera « La loi du survivant » un film qui évoque l’univers moral des truands corses, puis en 1968 « Le rapace » avec Lino Ventura immergé dans une révolution d’Amérique du Sud pour abattre un dictateur. Pour moi, son chef d’œuvre, c’est « Dernier domicile connu » de 1969, avec Lino Venture, Paul Crochet, Marlène Jobert. Le collaboration entre un policier désabusé et une jeune débutante pleine d’illusions à la recherche d’un témoin capital. Étonnant Paul Crochet dans la séquence des comprimés bleus ! Suivra « La Scoumoune » en 1972, avec Belmondo, Michel Constantin et Claudia Cardinale, une saga sur une vie : deux amis, la pègre d’avant et d’après la guerre, toujours la prison, une libération sous condition : déminer des plages françaises, avec l’accident, le déclin, l’amitié virile toujours. En 1978, il retrace dans « Les Égouts du paradis » le célèbre cambriolage d’une banque niçoise par Albert Spaggiari. Puis Giovanni va s’en prendre au système judiciaire dans « Une robe noire pour un tueur » en 1980 et par la même occasion, aux méthodes policières douteuses. Il ne fera d’ailleurs pas dans la nuance et produira ici une œuvre forte.

Il considérait que ses films tournaient en vase clos, qu’ils ne montraient que des truands entre eux. Cela, parce qu’autrefois l’aventure était dans la pègre alors qu’aujourd’hui, l’aventure est dans la rue, tout est relié à la société, peut-être à cause du terrorisme et qu’il est sans doute illusoire d’isoler les truands des honnêtes gens ! Cette phrase résume assez bien Giovanni et se confirme dans « Mon ami le traître » en 1988, co-écrit avec Alphonse Boudard. Grande réflexion sur le concept de la trahison !

José Giovanni est mort à Lausanne le 24 avril 2004. Il nous a laissé vingt romans, deux livres de souvenirs, plus de trente scénarios et une vingtaine de films et téléfilms. En mars 2004, il reçut le 15e prix Simone-Genevois pour son livre « Mes grandes gueules ». Il avait trouvé avec le compositeur François de Roubaix, un innovateur qui a su donner une marque à l’illustration sonore de ses films.

Cocteau avait raison : Monsieur José Giovanni, vous êtes un grand écrivain et un merveilleux cinéaste !
 



 
       
   
   
14e séance
   
             
 

 
Le monde des Indiens a été souvent caricaturé au cinéma. Dans une interview, Kevin Costner a dit : « Il faut démystifier le rôle que le cinéma a donné aux Indiens tantôt bons tantôt méchants ! » il a ajouté : « Je suis moi-même d’origine indienne et je sais qu’ils peuvent être cruels. Ils n’avaient aucune pitié pour ceux qui leur servaient d’esclaves, pas plus que pour leurs prisonniers. Entre tribus, ils se livraient souvent une guerre fratricide ! » J’ajouterai que les seuls qu’ils laissaient en paix étaient les malades mentaux ! Ils les craignaient, par superstition, et les fous qui vivaient au sein de la tribu, sans contrainte d’aucune sorte, étaient même respectés.

Une véritable saga épique, le film avec Kevin Costner devant et derrière la caméra de 1991 : « Danse avec les loups » d’après le roman de Michael Blake, avec également Mary McDonnel, Graham Green, Rodney A. Grant !
Pendant la guerre de sécession, un soldat nordiste – Dunbar/Costner – grièvement blessé, échappe à l’amputation en prenant la fuite. La scène qui s’ensuit, une tentative de suicide camouflée en baroud d’honneur étrange, entre les deux armées face à face, nordiste et sudiste, est surréaliste. Son acte va changer le cours de la bataille, il devient un héros. Il demande à être affecté à un avant-poste, à la lisière du territoire Sioux encore déserté par les blancs et là, dans une cabane oubliée de tous, il devient le seul représentant de l’Amérique, avec pour compagnons un loup et un journal dans lequel il consigne ses journées. Sa rencontre avec une Indienne blessée, la jeune veuve d’un guerrier, une femme blanche rescapée d’un massacre qui a grandit dans la tribu, qu’il va aider, le rapproche des Sioux. Premier contact, échange de cadeaux. Elle lui sert d’interprète, lui apprend la langue Lakota. Il sera désormais « Danse avec les loups ». L’intégration sera totale, il épousera même la belle ! Si l’approche des Sioux est pesante, les liens qui se tissent entre eux rendront le citoyen irrécupérable, perdu définitivement, et non seulement dans un endroit abandonné de Dieu mais surtout pour l’Amérique. C’est un film puissant, bien construit, qui prend aux tripes et le plus étonnant, c’est qu’il ne fait l’apologie de personne. Ni du courage, ni de l’Amérique, pas plus des Indiens. Kevin Costner a posé le doigt sur les vrais problèmes. Comment la fraternité humaine peut-elle exister au milieu de deux pôles contradictoires, la guerre et la paix ? Qu’est-ce que la civilisation, la sauvegarde de la nature ? Où en sommes-nous avec le racisme ? Ce n’est pas un film idyllique, c’est un film souvent violent, cruel, comme l’était cette époque. Décidément, l’homme est plus dangereux pour ses semblables que le loup. L’esthétique du film renoue avec la tradition des grands westerns mais en renouvelant le genre. Pour un débutant, c’est une belle réussite.

Je me suis demandé si Costner ne s’était pas inspiré de « Un homme nommé cheval » réalisé par Elliot Silverstein en 1970, le principal point de jonction entre ces deux films étant l’approche lucide de l’être humain. Aussi, pour finir, un mot de « Un homme nommé cheval » (A man called horse) avec Richard Harris, Jean Gascon et Judith Anderson.
C’est en fait, une série de trois films (à ne pas confondre avec « Le convoi sauvage » qui y fut cependant rattaché) qui composent l’histoire en épisodes d’un aristocrate anglais venu pour une partie de chasse, capturé par les Sioux, qui voit sa transformation inéluctable. Après de multiples humiliations et l’initiation au soleil, il devient indien dans l’âme.
Dans l’épisode suivant « La revanche d’un homme nommé cheval » (Return of a man called horse) du réalisateur Irvin Kershner, de 1976, avec Richard Harris, Gale Sondergaard et Billy Lochking, le lord anglais retourne dans le Dakota pour venger ses amis indiens.
Il sera suivi d'un troisième volet « Le triomphe d’un homme nommé cheval ».

Mais si je devais partir sur une île déserte, j’emporterais « Little Big Man » du réalisateur Arthur Penn, de 1970, avec Dustin Hoffman, Faye Dunaway, Martin Balsan et Chief Dan George, d’après le roman de Jack Crabb. Il faut bien avouer que le récit fait par un homme âgé de cent vingt ans évoque de façon fantaisiste la conquête de l’Ouest. Mais ce film est magique ! Il nous prend là où nous avons ce que nous supposons posséder : un cœur, des émotions, des rêves ! On s’en fout que cette histoire soit vraie ou non, le tour de force est d’avoir fait un film plausible où l’évocation théâtrale est poussée à son paroxysme. On vole au-dessus des plaines, en compagnie de l’oiseau tonnerre, on est très vite pris dans la couleur, l’odeur et le son du film comme dans un délicieux tissu qui nous draperait. Il est envoûtant tout en nous renvoyant aussi aux frayeurs de notre prime enfance lorsque Dustin Hoffman et Faye Dunaway, enfants, sont cachés sous un chariot bâché, la peur au ventre, voyant le massacre des colons s’organiser. Ce ne sont pas les Indiens qui sont effrayants mais leurs pieds qui s’activent dans un bal apocalyptique ! Grand film pour grands rêves, les nôtres !

Je vous souhaite, malgré tout, une bonne nuit !
 

 
 
 
 
 
   
   
Entracte 7
   
             
      George Catlin 1796-1872      
 

 

 
Lorsqu’on a la passion des Amérindiens, on ne peut omettre celui qui les a peints avec autant de talent et de réalisme : George Catlin. Bien sûr, je sors un peu ici du cadre du cinéma mais n’est-il pas le premier à les avoir fixés sur une « pellicule » ?
C’est sans doute les histoires sur les Iroquois que sa mère lui racontait qui donne à Catlin l’envie de connaître et de faire connaître les Indiens d’Amérique. Il abandonne une carrière juridique pour devenir peintre, plus particulièrement portraitiste à New York. À partir de 1839, il parcourt les grandes plaines à la recherche des tribus de l’Ouest et il rapporte, en plus de l’amitié d’un jeune sioux, une multitude d’esquisses et de dessins qu’il terminera à Albany, dans son atelier. Plus tard, il lui viendra l’idée malicieuse pour faire connaître les Indiens, de réunir ses peintures et sa collection d’objets indiens et de parcourir dans un premier temps, les Etats-Unis puis en Europe, l’Angleterre et ensuite la France… avec six tonnes de matériel ! À Paris, en 1845, Louis-Philippe le fait accueillir au Louvre, lui commande quinze toiles et c’est la révélation ! La ville découvre les « sauvages ». Le succès est total, les curieux insatiables. Accordons aux Français une pâle excuse, ils ne les connaissent que par la tradition littéraire ! En 1846, George Sand parle de lui dans son journal et lors d’une exposition, Delacroix dira d’eux : « Ils sont Homériques ! » et fera des croquis. C’est Baudelaire qui lui donne des lettres de noblesse en l’évoquant dans sa critique d’art. L’accueil de Paris est exceptionnel. Sans doute est-ce la nouveauté qui captive les foules et l’originalité du thème, comparé à l’art du moment qui fait réfléchir les artistes.
Il meurt en 1872 et… ce n’est qu’en 1879, mais un peu tard, qu’arrive la consécration. L’œuvre de Catlin entre dans les collections nationales de la Smithsonian Institution à Washington où elle est toujours.
Si le bruit avait couru avant l’exposition de 1846 que Catlin « ne savait ni peindre ni dessiner, et que s’il avait fait quelques ébauches passables, c’était grâce à son courage et à sa patience » on sait maintenant qu’il a peint les Indiens Osages, les Iroquois et les Pawnees comme personne et que, plus important encore que la peinture en elle-même, son travail minutieux d’ethnographe est irremplaçable ! Je peux vous dire sans risquer de me tromper que Catlin fut un futuriste imprégné d’une implacable lucidité car, déjà, il était conscient que leur avenir annonçait leur disparition ! En observant l’ombre qui voile le regard de ces Indiens, on a la certitude que Wakan-Tanka ne veillera pas éternellement sur eux !
 

 

 
       
   
   
15e séance
   
             
 

 
Nous avons tous une préférence pour tel ou tel metteur en scène, par affinité, je pense… De Cukor à Lang, la mienne va à Billy Wilder, dit « Billy », un metteur en scène d’une rare efficacité qui a globalement réduit les mobiles humains à l’argent et à la sexualité. Et c’est sans doute cela qui donne un tel ressort à ses effets comiques.

Billy Wilder est né en Autriche en 1906. On peut dire qu’il est lui-même un personnage de film. Après avoir tenté des études de droit, il gagne Berlin, pour être danseur mondain et journaliste. À partir de 1927, la UFA l’emploi. Il écrit des scénarios ; en 1929, celui de « Les Hommes le dimanche » de R.Siodmak, viendront ensuite des policiers, des comédies (certaines, musicales) et des textes frivoles, parfois des adaptations de livres populaires tel « Émile et les détectives » de G. Lamprecht de 1931. C’est une époque trouble, les nazis viennent tout perturber alors il se réfugie à Paris. En 1934, il aborde la mise en scène avec Alexander Esway pour « Mauvaise Graine ». Avec d’autres candidats à l’exil, il se laisse tenter par l’Amérique mais de mauvaise grâce car il ne parle pas un mot d’anglais. Il commence par traduire les textes déjà écrits en Europe qu’il avait apporté dans ses bagages et reste un moment confiné dans un travail de scénariste pour d’autres réfugiés : Deterle, May, Thiele. La rencontre avec Charles Brackett lui permet de remporter ses premiers succès de dialoguiste avec une suite impressionnante : « La huitième femme de Barbe-Bleue » et « Ninotchka » de Ernst Lubitsch, en 1938, ensuite de Mitchell Leisen « La Baronne de minuit » en 1939 et, « La Porte d’or » en 1941, puis « Boule de Feu » de Howard Hawks en 1941. Il continuera d’écrire jusqu’en 1950.

Ses traits d’esprit et ses éclats humoristiques, dans la vie comme au cinéma, n’ont rien de superficiel, ils servent sa construction narrative. S’il porte sur le monde un regard satirique, ses premières œuvres dramatiques et policières inclinent vers la misanthropie. Il dénoncera toujours les illusions et les tricheries d’Hollywood avec pour meilleur exemple « Boulevard du Crépuscule » en 1950 avec Gloria Swanson et Erich von Stroheim, le thème de la star déchue, un thème qu’on retrouvera plus tard dans « Fedora » en 1978, qu’il produit en Allemagne faute de financement américain.

Mais rien ne lui échappe ! Ni les mensonges du journalisme avec « Le Gouffre aux Chimères » en 1951 avec Kirk Douglas et Jan Sterling, ni les machinations de l’être humain dans « Assurance sur la mort » en 1944, crime crapuleux et assurance-vie. Tout y passe ! « Si l’on ne peut pas jurer que tout le monde est corrompu, c’est parce que nous ne connaissons pas tout le monde ! » disait-il. On pourrait résumer sa vie par cette phrase. Belle pirouette tout de même !
Viendront ensuite « Stalag 17 » en 1953, une tentative d’évasion pendant la seconde guerre mondiale qui sera reprise dix ans plus tard dans « La grande évasion » de John Sturges avec Steve McQueen, puis « La Garçonnière » en 1960, un film tinté de dégoût, intérêt, compromission et quiproquo amoureux, puis « Un, Deux, Trois » en 1961 avec pour thème les marchés à conquérir en période de guerre froide ! Il se complaira toute sa vie dans son rôle de moraliste, il avait commencé depuis longtemps avec « La scandaleuse de Berlin » en 1948, une enquête sur la moralité des troupes américaines.

Je vous ai gardé pour la fin mes deux préférés « Irma la douce » de 1963 avec Shirley Mac Laine et Jack Lemmon, un gardien de la paix qui se déguise en lord pour sortir sa belle du ruisseau et « Embrasse moi idiot » de 1964, un chanteur de charme et une entraîneuse déguisée en fausse épouse. Tout un programme ! Mais, où ai-je la tête ? J’allais oublier « Certains l’aiment chaud » de 1959, avec la grandiose Marilyn Monroe, et le tandem Tony Curtis et Jack Lemmon ! Qui ne se souvient pas des deux musiciens au chômage, contraints de se travestir pour échapper à des gangsters, enrôlés – l’instinct de survie ! – dans un orchestre féminin où ils tombent amoureux d’une créature de rêve qui ne pense qu’à séduire un millionnaire.
Combien de beaux portraits de la faiblesse humaine aura-t-il laissés ! Il ne se lassa jamais de dénoncer la froideur du système de la société, c’est probablement le metteur en scène qui aura fait, sous couvert de comédie, la plus terrible critique de son époque. Ses derniers personnages semblent lui être plus sympathiques mais il ne dérogera jamais à la morale. Pour lui, le seul juge était son public, bien qu’il lui soit arrivé parfois de le surestimer car « Embrasse moi idiot » fut un échec, qui fit même scandale ! Le fait de ne s’être jamais politiquement engagé lui aura apporté une totale liberté d’action. L’ère du Jazz et cet air de Paris qu’il aimait adouciront certains de ses films, comme dans « Irma la douce ».
Je crois qu’on pourrait le résumer en disant que son art le rendait capable de conduire le spectateur dans sa parade cinématographique. Je terminerai, ce soir, sur le souvenir de la sublime Marlène Dietrich dans « La scandaleuse de Berlin ». Plénitude visuelle, activité intense et ingénieuse, grâce perverse.
Un grand du cinéma américain !

 
 
 
 
 
   
   
16e séance
   
             
 

 
Quand je songe à la violence qui s’est emparée de notre époque, je soupçonne le cinéma de ne pas y être pas étranger. Nous avons, bien entendu, notre libre arbitre mais… que faisons-nous au juste de cette liberté ? Le champ d’action à notre portée, nous permet-il de réagir sainement ? Quant aux jeux vidéo, qu’en est-il vraiment ? On aimerait croire en leur innocence mais un fait divers venu des États-Unis nous en ôte tout espoir : le jeu s’est substitué à la réalité dans le subconscient d’un enfant qui, après avoir intégré une image scannée de ses parents dans le rôle des méchants, finira par les tuer, dans le jeu et dans la vie ! Ils étaient devenus de véritables ennemis.
Mais, me direz-vous… s’il avait visionné « À bout portant » de Don Siegel, de 1964, que j’évoquais dans la 6ème séance, peut-être aurait-il eu ce même goût de violence en bouche ! Ce film, remarquable au demeurant, tiré d’une nouvelle d’Hemingway relate l’histoire anecdotique d’exécuteurs froids comme ceux qui sévissent de nos jours. Il est évident que je lui préfère « Absence de malice », un polar de Sydney Pollack, de 1981, avec Sally Field et Paul Newman (toujours magistral !) dans le rôle du fils d’un gangster qu’un policier de Miami va tenter de compromettre, sans preuve, en manipulant la presse. Malheureusement pour le flic, tel sera pris qui croyait prendre. À noter que la traduction du titre en français semble être un contresens car, en anglais, « malice » signifie « préméditation », et « absence of malice » est, aux États-Unis, une clause prévue pour protéger les journalistes !
S’il est un film sordide qui s’inscrit dans le droit fil du film policier, c’est bien « À coups de crosse » de Vincente Aranda, de 1984, avec Fanny Cottençon et Bruno Cremer en policier violent qui séduit une fille dont l’amant est en prison. Tout ça pour découvrir une cache d’armes !
Heureusement que des films comme « Adieu l’ami » de 1968, de Jean Herman, d’après le roman de Sébastien Japrisot, avec Charles Bronson, Alain Delon et Olga Georges-Picot relèvent la cote des polars. Deux hommes se laissent enfermer dans une banque pendant le temps d’un week-end, l’un pour vider un coffre-fort bien rempli et l’autre pour y remettre en place des documents, sans savoir qu’ils sont entraînés dans un piège. Il naîtra de leur association une véritable amitié.
L’un des fleurons du film noir est sans conteste « Adieu ma belle », tiré du roman de Raymond Chandler, de 1945, avec Claire Trevor et Dick Powell, qui propulsera Edward Dmytryk en tête d’affiche, le faisant sortir des séries B. Philip Marlowe sera mêlé à une enquête sur la petite amie d’un truand et à une affaire de bijoux volés. Son remake, de Dick Richards, en 1975, fut intitulé « Adieu ma jolie ». Avec Charlotte Rampling au menu et l’étonnant Robert Mitchum (lorsqu’il est à jeun), il ne pouvait pas être nul !
Je placerais « La dame sans passeport » de Joseph H. Lewis, de 1950, avec Hedy Lamarr et James Craig dans le registre des films séduisants : à Cuba, alors qu’il tente de démanteler un réseau hongrois d’immigration irrégulière, un officier américain tombe amoureux d’une belle femme sans passeport qui va être prise en otage par le réseau. Que d’émotions en perspective !
Dans le registre des policiers français, « Cécile est morte » de Maurice Tourneur, de 1944, adapté d’un roman de Georges Simenon, avec Albert Préjan, Santa Relli, Gabriello, Germaine Kerjan mériterait une mention particulière. On pénètre ici dans la parapsychologie. Maigret devient un peu le confident d’une jeune femme sans histoire qui, sans être prise au sérieux, vient régulièrement lui confier ses craintes. Un jour, sa tante est assassinée et Cécile disparaît après avoir laissé une note sur le bureau de Maigret.
Mais pour moi, le policier français passe inévitablement par José Giovanni. Je compléterais donc maintenant la 13éme séance avec « Le Gitan » de 1975. Avec Alain Delon, Annie Girardot et l’inoubliable Paul Meurisse ! Encore, bien sûr, un film basé sur l’amitié : pour venger son peuple de la société qui le condamne à une condition d’errants endémiques, un gitan multiplie les hold-up pour reverser les subsides aux siens. Le hasard le conduit irrévocablement à croiser le chemin d’un ancien truand, Paul Meurisse, dont il perturbe la retraite. Toujours le même flegme chez Paul Meurisse qui contraste avec la vivacité du personnage principal. Annie Girardot magnifique, égale à elle-même !
La classe s’allie au suspense avec Alfred Hitchcock, un des grands maîtres du genre pour « L’inconnu du Nord-Express » de 1951, avec Farley Granger, Robert Walker et Ruth Roman. Un échange de meurtre qui sera souvent reprit au cinéma. Avec Hitchcock, on est au sommet de l’effet dramatique sans effusion de sang.
On retrouve la même classe, mais avec un écho différent, dans « Les inconnus dans la maison » d’Henri Decoin, de 1942, avec Raimu, Juliette Faber, Jean Tissier, Tania Fedor et Mouloudji adolescent. Encore d’après un Simenon. Une petite ville de province, trop calme, troublée par un crime mystérieux. L’avocat, maître Loursat, qui a sombré dans l’alcoolisme, vit dans une sinistre demeure bourgeoise dans laquelle sera retrouvé un cadavre. Pour la petite histoire, ce film qui reste l’un des grands de la période de l’occupation sera interdit à la libération parce que le suspect porte le nom d’Ephraîm Luska et que la plaidoirie de l’avocat paraît réactiver les arguments du national-socialisme !
Pour rester dans le suspense, quoi de mieux que « La mariée était en noir » de François Truffaut, de 1967, avec Jeanne Moreau (l’incontournable veuve !), Michel Bouquet, Michael Lonsdale, Jean-Claude Brialy, Charles Denner et Alexandra Stewart. La lente progression de la vengeance de Julie Kohler, veuve le jour de son mariage, qui décide d’éliminer ceux qui sont responsables de la mort de son mari. À l’origine de cette traque sournoise, une balle perdue qui détruit tout d’abord deux vies, autant par jeu que par bêtise, puis qui en détruira bien d’autres !
Avec « Mortelle Rencontre » de Sidney Hayers, de 1974, la cavale est garantie. Avec Hayley Mills et Sterling Hayden qui ne savait pas que Belle Adams venait de s'évader d’un hôpital psychiatrique pour criminels. On ne devrait pas prendre en stop n’importe qui ! Il n’aura pas eu le temps de le regretter… La randonnée sera jalonnée de morts bien mystérieuses.
« Nocturne », un film policier bien construit d’Edwin L. Marin (connu également pour ses westerns) est sans conteste son film phare. Réalisé en 1946, avec George Raft, Lynn Bari, Virginia Huston et Joseph Pevney. Il retrace la traque d’un inspecteur qui ne croit pas au suicide d’un compositeur de musique et qui va rechercher la femme mystérieuse dont il parle dans ses chansons.
L’un des plus beaux films de l’histoire du polar américain est probablement « Quand la Ville dort » de John Huston, de 1950, d’après le roman de William R. Bennett. Un film magistral avec Sterling Hayden, Louis Calhern, James Whitmore et dans un tout petit rôle, Marilyn Monroe. Un malfaiteur sort de prison pour organiser un cambriolage scientifique et le financier du coup sera un avocat. La scène du hold-up constitue un suspense fantastique. Chaque personnage est un cas. Les motivations des protagonistes en font vraiment un film à part.
Je vous quitterai ce soir sur un film que j’aime beaucoup. Une comédie dramatique : « Dangereuse sous tous rapports » de Jonathan Demme, de 1986, la rencontre de deux personnages que tout oppose, leur milieu social respectif et leur philosophie de la vie. Il s’agit de Jeff Daniels, de Mélanie Griffith et de Ray Liotta – l’ex. de madame – un petit maquereau sans envergure qui mettra une belle pagaille. Le film oscille entre gravité et drôlerie car le jeune cadre, bien sous tous rapports, s’embarque dans une aventure sentimentale qui le dépasse dès le début. Il se laisse séduire par une inconnue sexy qui joue avec lui comme… la souris avec le chat. Tantôt brune, tantôt blonde, femme double et superbe, personne ne peut dire à la fin du film qui est le chat et qui est la souris. Mais soyons sérieux, qui n’aurait pas envie de se faire croquer par Mélanie Griffith ?
Bonsoir, rêvez bien !
 

 
 

   

 
   
   
Entracte 8
   
             
      Gene Tierney 1920-1991      
 

 
Dans l’histoire du cinéma américain, Gene Tierney est une star à part, différente de celles de sa génération. Sa beauté insolite, son regard, donne à son aura un attrait particulier. C’est une bouffée d’oxygène qui nous suffoque !
Elle est née en 1920, à New York, dans un milieu social des plus aisés. C’est dans un collège en Suisse qu’elle découvre le théâtre. Sans les épreuves qui l’attendaient, elle aurait pu devenir une de ces ignobles gosses de riches si bien dépeintes par Scott Fitzgerald.
Zanuck, alors directeur de la Twentieth Century Fox, la remarque alors qu’elle joue à Brodway. Elle signe avec lui un contrat de sept ans et débute au cinéma en 1940 avec « Les trappeurs de l’Hudson » de Irving Pichel et avec Fritz Lang dans « Le Retour de Frank James ». Elle tourne trois films en 1941. Avec « La Route du Tabac » de John Ford, elle incarne une sourde muette, puis dans « La Reine des rebelles » de Irving Cummings, elle sera Belle Shirley, une suffragette de l’époque qui décide de poursuivre le combat après la défaite des sudistes et enfin, avec « Shanghaï Gesture » de Sternberg, son rôle dans l’ambiance glauque des maisons de jeu lui permettra de casser son image de première de la classe.
Vient ensuite « Le ciel peut attendre » en 1943, c’est la rencontre avec Lubitsch ! En 1944, ce sera avec Otto Preminger pour « Laura », dans le rôle ambigu de Laura Hunt qui apparaît à un policier après avoir été assassinée et, en 1947, avec Joseph Mankiewicz pour « L’aventure de madame Muir » où elle fait la connaissance d’un fantôme dont elle tombe amoureuse. « Laura » et « L’aventure de madame Muir » seront les deux films les plus marquants de sa carrière et ceux qui lui auront fait connaître la célébrité. Elle aura fait trois autres films entre ces deux-là, dont « Péché mortel » de John M. Stahl, en 1946, qui lui vaudra une nomination aux oscars.
Ensuite, des chagrins commencent à perturber sa vie privée. On la voit encore dans des rôles importants en 1946, dans « Le fil du rasoir » d’Edmund Goulding, en 1949 dans « Le mystérieux docteur Korvo » de Preminger et en 1950 dans « Les Forbans de la nuit » de Jules Dassin mais les scénarios suivants la font basculer dans les seconds rôles.
Au début des années 50, une profonde dépression brouille sa vision de la vie, du réel. Les psychiatres lui conseillent de travailler en dehors du cinéma et on la retrouve vendeuse dans un magasin. La naissance d’une petite fille handicapée et son divorce viennent à bout de sa résistance. Une épreuve qui inspira Agatha Christie pour son roman « Le miroir se brisa », une actrice célèbre anéantie au sommet de sa gloire à cause des conséquences de la maladie. Après une thérapie, elle retrouve le chemin des studios de la Métro Goldwyn Mayer et de la Twentieth Century Fox mais le mal est fait et le milieu du cinéma ne l’épargne pas. Elle a maintenant l’étiquette de « star sur le déclin ». Elle aura encore des rôles dans plusieurs films : en 1953 dans « Affaire personnelle » d'Anthony Pelissier et dans « Ne me quitte jamais » de Delmer Daves et, en 1954, dans « L’Egyptien » de Michael Curtiz.
Elle se remarie avec un homme d’affaire texan et on ne la reverra encore en 1962 dans « Tempête sur Washington » de Preminger et, en 1963 dans « Le tumulte » de George Roy Hill puis, dans son dernier film, en 1965 « Trois filles à Madrid ». Ensuite, elle fera quelques apparitions à la télévision et elle consacrera sa vie aux enfants attardés mentaux.
Gene Tierney est une icône du cinéma américain, un beau visage étonné dans un monde superficiel ou les rats ne sont pas que dans les caves ! On prend, on use, on jette ! On ne se soucie que de l’image et l’on fait semblant de dire : « On vous aime pour ce que vous êtes et non pour ce que vous paraissez ! » Bel édifice d’hypocrisie... Gene Tierney reste pour moi une belle obsidienne qui su apprivoiser la lumière et les sentiments.
 

 
       
   
     
suite…
 
 



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