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17e séance
   
     
     
 

 
On ne peut pas parler de cinéma sans évoquer les compagnies pionnières qui furent à l’origine de la création du cinéma et de sa diffusion. Aujourd’hui, nous allons jeter un œil sur la Warner Bros.

Cette compagnie – à l’origine, la Warner Brothers – fut fondée en 1923 par les frères Harry, Sam, Albert et Jack L. Warner, quatre émigrants polonais dont le père s’était établi aux États-Unis en 1890. Les quatre frères commencèrent en organisant la projection de courts-métrages souvent accompagnée de numéros musicaux. Harry, le plus réaliste, fonda le premier groupement d’exploitants des États Unis : la Duquesne Amusement Supply Company. Jack, qui écrivait des scénarios, trouva un réalisateur en Sam qui se lança dans la réalisation de westerns en deux bobines et créa en 1912, une société de distribution à Los Angeles. Jack fit de même à San Francisco, la machine était lancée. Ils installèrent un service de production à Los Angeles alors qu'Harry et Albert assuraient depuis New York le financement et la distribution des films.
En 1917, les frères Warner louent un studio dans le Bronx et tournent le premier long métrage américain de propagande, une histoire inspirée des souvenirs de l’ambassadeur James W. Gerard : « My four years in Germany ». Nous sommes en 1918 ! C’est un triomphe doublé de l’opportunité de construire leur propre studio sur Sunset Boulevard. C’est alors le début des films de gangsters et des drames sociaux. William Nigh réalise, en 1921, « Parted Curtains ». Pour alimenter la production de cinq longs métrages chaque année, un banquier du nom de Motley Flint entrera dans la danse et 1923 sera l’année de la fondation officielle. La compagnie se dotera de nouveaux équipements pour tourner dans des conditions plus confortables. La même année, ils engagent Ernst Lubitsch qui tourne pour eux ses premières comédies américaines : « Comédiennes » en 1924, « L’éventail de Lady Windermere » en 1925 et « Les surprises de la TSF » en 1926. En avril 1925, ils prennent possession des studios Vitagraph et en novembre de la même année, ils engagent Michael Curtiz qui devient, grâce à eux, le réalisateur le plus créatif du studio en 1927. Ils prennent ensuite le contrôle d’une série de courts métrages sonorisés grâce au procédé Vitaphone. La même année sortira le premier long métrage sonore de l’histoire du cinéma : « Le chanteur de Jazz » de Alan Crosland. Un succès garanti et le début de l’aventure du parlant.
1927 est aussi l’année du décès de Sam, à quarante ans, mais rien ne peut plus les arrêter. Septembre 1927, ils prennent le contrôle de la First National. Ce sera pour eux l’accès à des centaines de salles et ils deviendront les Majors d’Hollywood. On peut qualifier alors la Warner de société populaire et réformiste. Elle ne se contente pas de décrire la crise des années 30, elle veut l’humaniser par l’humour et l’émotion, et aussi avec un brin d’indignation qu’on peut trouver simpliste. Elle parle des drames de la dépression dans « Wild Boys of the road » de William A. Wellman, en 1933, ou des abus du système carcéral dans « Je suis un évadé » de Mervyn Leroy, en 1932. Parmi les critiques de l’époque, certains n’hésiteront pas à dire que la Warner fonctionne comme une usine, voir une galère ! C’est peut-être vrai. Rendement, vitesse, économie sont ses trois impératifs mais en sont-ils complètement responsables ? Le climat de l’époque était détestable. La montée du fascisme, les vertus de la démocratie, avec celles de l’humanisme pour toile de fond, tout se mélangeait un peu. Ces années difficiles virent pourtant le regain du cinéma féministe avec des actrices comme Bette Davis – à considérer comme une rescapée de la bataille juridique avec la Warner – qui triomphera en 1938 dans « L’insoumise » (Jezebel) de William Wyler. Dans un registre plus populaire, s’affirmeront des actrices comme Barbara Stanwyck dans « Révolte à Dublin » en 1936, de John Ford, ou Ida Lupino en 1937, avec « Artistes et modèles » de Raoul Walsh.
Mais si la guerre fait peser sur la famille des menaces immédiates, les trois frères ne resteront pas neutres puisqu’ils permettront à Anatole Litvak de réaliser le premier film antinazi : « Confession d’un espion nazi » qui sortira en 1939. Dans le même registre, en 1942 Michael Curtiz réalisera « Casablanca » puis « Passage to Marseille » en 1944. A noter, deux chefs d’œuvre produits dans cette conjoncture, des films policiers : « Le Faucon maltais » de John Huston, en 1941, et « Le Grand sommeil » de Howard Hawks, en 1946.
Le climat de l’après-guerre ne vaudra guère mieux. Ce sera le début du maccarthysme et la croisade anticommunistes – la hantise des Américains. Puis viendront les lois anti-trusts obligeant les Majors d’Hollywood à scinder leurs services de production et d’exploitation et entraînant une époque de précarité pendant laquelle, paradoxalement, naîtront de superbes films. Pendant cette période, Walsh réalisera « La Vallée de la peur » en 1947, et « L’Enfer est à lui » en 1949, Michael Curtiz « Boulevard des Passions » en 1949 et « La femme aux chimères » en 1950 et en 1949, King Vidor « Le rebelle ».
Ensuite la Warner des années 50 s’orientera vers des films familiaux et musicaux, avec Doris Day, et des films d’aventure comme : « La flèche et le flambeau » de Jacques Tourneur en 1951. Le temps des vétérans viendra avec John Ford et « La prisonnière du désert » en 1956, Raoul Walsh et « L’esclave libre » en 1957, Howard Hawks et « Rio Bravo » en 1959. Ce sera grâce à la Warner que l’on parlera de Burt Lancaster, John Wayne et avec le célèbre « Une étoile est née » de Cukor, en 1954, de Judy Garland. Viendront ensuite des films dont la marque, différente, annoncera un autre cinéma : « À l’Est d’Eden » d’Elia Kazan, en 1955, puis « Le Gaucher » d’Arthur Penn, en 1958.

En 1967, Jack est le dernier à détenir des parts de la Warner. Il les vend à la compagnie canadienne Seven Arts. Et comme tout le monde dévore tout le monde, en 1969, la Warner passe sous le contrôle d’une société de parking et de services funéraires, la Kinney National Service ! En 1988, Warner fusionnera avec le groupe de communication Time Inc.

Alors, ce soir, je vous quitte car il n’est plus question de cinéma mais d’affairistes. Mais pour ne pas rester sur ce triste constat, je mentionnerai l’esthétique « Barry Lyndon » de Stanley Kubrick, de 1975. Si l’histoire est sordide, la magie des lumières et des couleurs et la sublime bande sonore opèrent l’alchimie, et également, mais dans le registre de l’hymne à la nature, « Jeremiah Johnson » de Sydney Pollack, de 1971. Deux chefs d’œuvres ! Il n’y a pas que les écus d’or dans la vie...

 

 
   

   
   
   
18e séance
   
             
 

 

 

 

 

 

 

Je vais faire une seconde incursion dans le film policier car certains thèmes méritent un détour comme ce film de 1942 « Les Yeux dans les Ténèbres » de Fred Zinnemann avec Ann Harding, Edward Arnold, Donna Reed : une femme a recours à un ami détective – aveugle – pour dissuader sa belle fille de fréquenter son ex-amant. Cadavre et chantage seront le lot du détective aveugle et de son chien qui mettront en échec une bande d’espions. La prouesse vient du fait que le réalisateur a situé l’action au niveau de l’aveugle. Ce film aura d’ailleurs une suite en 1945, « The hidden eye » mais sera réalisé par Richard Whorf.
De la même époque, un bon polar français « Le Voyageur de la Toussaint » de Louis Daquin, de 1943, d’après le roman de Georges Simenon, avec Jean Desailly, Gabrielle Dorziat, Jules Berry, Simone Valère et Louis Seigner. L’action se passe dans une ville de province. Un jeune homme timide vient recueillir la succession de son défunt oncle, empoisonné à l’arsenic. Il doute de la culpabilité de sa tante immédiatement soupçonnée et finit par démasquer les coupables.
Jean-Louis Trintignant, Danièle Delorme, Charles Gérard, Yves Robert, Judith Magre composent l’affiche du film de Claude Lelouch « Le Voyou » en 1970. À noter également la présence de Charles Denner, acteur au phrasé si particulier que l’on retrouve souvent dans la distribution de ce metteur en scène. C’est le thème de la trahison et de la vengeance après l’évasion d’un gangster qui se remémore l’organisation d’un kidnapping.
Entre espionnage et polar exotique, « Voyage au pays de la peur » de 1942, de Norman Foster, nous emmène en Turquie, avec un ingénieur de la navy qui fuit son hôtel sans même avertir sa femme. Il pense semer les espions qui le poursuivent mais il ne soupçonne pas qu’ils n’ont pas perdu sa trace. D’après le roman d’Eric Ambler, avec Joseph Cotten, Dolorès del Rio et Orson Welles qui marque toujours un film de son charisme. Il supervisa d’ailleurs la réalisation.
Maintenant, un excellent film de 1946 « The Verdict » de Don Siegel, d’après le roman d’Israël Zangvill, avec Peter Lorre et Joan Lorring. À Londres, à la fin du siècle dernier, un inspecteur de police qui se voit contraint de démissionner parce qu’il a fait pendre un innocent tente de commettre le crime parfait.
Déjà l’ombre du chômage dans « Les voleurs de la nuit » de Samuel Fuller, en 1983, d’après un roman « Le chant des enfants morts » d’Olivier Beer. Avec Véronique Jannot, Victor Lanoux, Micheline Presle et Claude Chabrol en comédien. Une jeune femme et son violoncelliste de mari, tous deux au chômage, décident de s’en prendre aux employés de l’ANPE qu’ils jugent responsables de leur misère sociale.
Dans les films divertissants sans surprise « Vivre et laisser mourir » de 1973, de Guy Amilton, d’après le roman de Ian Fleming, avec Roger Moore et Jane Seymour, est un bon 007. En 24 heures, trois agents des services secrets britanniques sont tués. Bond, James Bond ! intervient en plein culte vaudou. Roger Moore succède à Sean Connery. Ce ne sera plus jamais la même chose !
« La ville des silences » de Jean Marboeuf, de 1979, m’avait beaucoup plu. Avec Michel Galabru, Michel Duchaussoy et Jean- Pierre Cassel, le détective, qui devra lever la chape de plomb qui pèse sur la petite ville. La vie de toute la population dépend de l’usine. Il comprendra à ses dépens qu’il ne faut pas enquêter sur la mort d’un patron.
Un thème qui revient dans les policiers : la disparition d’époux successifs qui fabrique les veuves à répétition. C’est le cas dans « La veuve noire » de Bob Rafelson, de 1986, avec Debra Winger, Theresa Russell et Samy Frey. Alexandra Barnes, qui travaille pour la justice fédérale, est intriguée par la similitude qu’elle constate entre des morts suspectes. Elle découvre que les veuves n’en sont qu’une, mais pour elle, le véritable danger viendra de la fascination que la veuve exerce sur elle.
Le polar bien construit « La valse des truands » de Paul Bogart, de 1969, d’après un roman de Raymond Chandler, avec James Garner, Rita Moreno et Sharon Farell, met une fois de plus en scène le fameux détective Marlowe qui, cette fois, est chargé de retrouver un homme qui a disparu. Les meurtres s’accumuleront jusqu’à la résolution de l’énigme.
Dans le registre du policier musclé, « Urgence » de 1985, de Gilles Behat, avec Richard Berry, Fanny Bastien, Jean-François Balmer et Bernard-Pierre Donnadieu en parfait salaud, met mal à l’aise. Une intrigue dans le milieu nazi. Une jeune femme menacée se confie à un journaliste qui va démêler l’affaire.
Toujours dans la lignée des films à thème « L’union sacrée » d’Alexandre Arcady, de 1989, avec Richard Berry, Patrick Bruel, Bruno Crémer, Claude Brasseur, Saïd Amadis, Corinne Dacla, Marthe Villalonga et Amidou met en scène la confrontation épique entre deux policiers – l’un juif, l’autre arabe – chargés de travailler ensemble. La lutte contre le terrorisme et les fanatiques finira par les rapprocher.
Je terminerai par deux films, bien que différents, qui ont un relief certain : « Wanda’s cafe » de 1985, d’Alan Rudolph, avec Kriss Kristofferson, Keith Carradine, Lori Singer et Geneviève Bujold. Wanda’s café est un lieu trouble qui réunit tous les losers de la ville. Lorsqu’un truand sort de prison et a du mal à retrouver un travail et un amour, la société ne lui fait pas de cadeau. La mort sera au bout de la route.
Mais le plus beau policier de ce soir évolue dans un climat pseudo-folklorique, c’est « Witness » de 1984, de Peter Weir qui affectionne les ambiances chargées de détails. Avec Harrison Ford, Kelly McGillis, Josef Sommer et Lukas, le jeune garçon. Le film repose totalement sur cet enfant, témoin d’un règlement de comptes, et placé sous la protection d’un policier. Les truands finiront par retrouver sa trace dans une communauté amish, rurale et agraire, qui refuse le progrès technique et l’évolution des mœurs. Les scènes, bien décrites, sont sans parti pris. C’est un film policier rare et esthétique et même si la vision des Amish est utopique avec sa dose de duplicité et d’hypocrisie, ce petit bijou reste un fait marquant dans l’histoire du cinéma américain. Et malgré l’émotion suscitée par la séparation, prévisible, de nos deux protagonistes… je vous souhaite une bonne nuit !

 

 

 

 

 
 
 
 
 
   
   
Entracte 9
   
             
      Gregory Peck 1916-2003      
 

 
Dès qu’il apparaît sur les écrans, on ne peut que penser : « Quelle classe ! » Il est grand, beau, élégant, il a reçu à la naissance le triptyque de la réussite pour faire une carrière au cinéma.
Gregory Peck est né le 5 avril 1916 en Californie. Ses parents divorcent lorsqu’il a six ans, il est élevé par sa grand-mère et entre à dix ans à l’Académie militaire de St-John à Los Angeles. Alors qu’il entame des études de médecine, il comprend que son véritable intérêt va à l’écriture et à l’art dramatique. Il termine néanmoins puis part à New York et débute à Broadway en 1942. Dès le début de sa carrière, il est remarqué au théâtre mais très rapidement, Hollywood le sollicite.
Dans le cinéma américain, il incarne la réflexion intérieure et même si sa vie oscille parfois vers le tragique – son fils Jonathan se suicide à l’âge de trente ans –, il n’en reste pas moins son sourire si particulier, sa discrétion et son charisme. À la ville, c’était un gentleman : lors du tournage de « Vacances romaines », apprenant que le cachet d’Audrey Hepburn est ridicule, il demande qu’il soit augmenté et à la mort d’Eva Garner, il engage sa femme de ménage et adopte son chien ! Ses apparitions à Cannes sont toujours d’une grande sobriété. Il est l’homme des engagements, œuvres de solidarité et nombreuses autres causes, notamment contre la guerre du Vietnam cependant, il a toujours démenti la rumeur d’une éventuelle candidature à l’élection de gouverneur de Californie.
Il a tous les talents. Il incarne des personnages inquiétants pour Hitchcock, comiques pour Minnelli, même s’il y est utilisé à contre-emploi, des aventuriers tenus par la mauvaise conscience mais désireux de s’améliorer… C’est un acteur authentique, scrupuleux et lucide qui aime être, dans ses rôles, au plus près de ses convictions comme dans « Du silence et des ombres » où il incarne l’avocat d’un homme noir.
En 1958, il tente la production avec « Les grands espaces » et plus tard « Le plus beau jour de notre vie » de Gordon Davidson, un film courageux qui évoque les luttes contre la guerre du Vietnam. En 1978, il rédigera son autobiographie « An Actor’s life ». Sa filmographie est impressionnante mais, pour moi, seuls quelques chefs d’œuvres résistent au temps. Pour citer les principaux : « Jours de gloire » de Jacques Tourneur en 1944, « La maison du docteur Edwardes » d’Alfred Hitchcock en 1945, puis l’un de ses plus grands « Duel au soleil » de King Vidor en 1946, ensuite « Le Procès Paradine » toujours d’Hitchcock en 1947, un film d’aventure d’après E.Hemingway « Les neiges du Kilimandjaro » en 1952, et une bluette « Vacances romaines » de William Wyler en 1953 qui vaudra un oscar à Audrey Hepburn. Puis en 1958, un superbe western « Bravados » d'Henry King, « La gloire et la peur » de Lewis Milestone en 1959, et bien sûr « Les canons de Navarone » de Jack Lee Thompson en 1961 et « Les nerfs à vif » du même metteur en scène. N’oublions pas la grande fresque qu'est « La Conquête de l’Ouest » de John Ford et Henry Hathaway, « Et vint le jour de la vengeance » de Fred Zinnemann en 1964, et « Arabesque » de Stanley Donen en 1966. Deux petites merveilles suivront « L’homme sauvage » un film d’un expressionnisme déroutant, de Mulligan en 1969, et « L’or de Mackenna » de Jack Lee Thompson. Les cinéphiles n’auront pas oublié « Le Pays de la Violence » de John Frankenheimer de 1970, puis « Quand siffle la dernière balle » d'Henry Hathaway de 1971, et « Un colt pour une corde » de Ted Kotcheff de 1975.
Sa personnalité et ses personnages sous tension feront de lui un pionnier des grands espaces américains et donneront un sens épique à ses personnages de western, sans doute les plus beaux. En 1987, viendra « La Force du silence » de Mike Newell et grâce à lui, « Old Gringo » de Luis Puenzo en 1989 sera supportable ! On peut juste regretter les superproductions dogmatiques de la fin de sa carrière qui ne cadrent plus avec le summum habituel des années 40 à 60.

Avec son rythme ralenti, sa stature, ses sourires à peine contenus, il incarne ce qui s’est fait de mieux dans le septième art. Il n’aura pas toujours été épargné par la critique et pourtant, il savait impliquer le spectateur dans ses films ; il a été le grand exécuteur de l’indifférence ! Il me fait penser à ces rimes d’une chanson de Claude Nougaro :

« Sur l'écran noir de mes nuits blanches,
Moi je me fais du cinéma
Sans pognon et sans caméra,
Bardot peut partir en vacances… »

Il voulait laisser l’image d’un bon acteur, d’un bon conteur. Mission accomplie monsieur Gregory Peck !
 

 
 
   
   
   
19e séance
   
             
 

 

 
Le western n’a jamais été un genre mineur. Il en fut de très grands et presque tous les metteurs en scène américains s’y sont risqués. On l’a souvent limité au cadre des grands espaces de l’Ouest américain et à l’époque des pionniers cependant l’action de films comme « Les Tuniques écarlates » de C.B. de Mille, de 1940, ou « Vera Cruz » de Robert Aldrich, de 1954, se passe respectivement au Canada et au Mexique. Et si la majorité des westerns se situent entre 1860 et 1890, certains sont antérieurs à la guerre d’indépendance comme « Le grand passage » de King Vidor, de 1939 et d’autres y sont au cœur même, comme « Sur la piste des Mohawks » de John Ford, de 1939. On finirait par y perdre son latin si l’on considère que, du Texas au Mexique, certains évoluent sur le Rio Grande même, ou de part et d’autres. « La rivière Rouge » de Howard Hawks, de 1948 et « Alamo » de John Wayne, de 1960, en sont des exemples.
Pour la petite histoire, il faut se souvenir qu’en 1900, l’Ouest commençait à Chicago et aujourd’hui encore, de nombreux éléments de la tradition western, notamment vestimentaires et alimentaires, sont vivants au Texas, en Arizona et au Colorado.

Le western est aussi ancien que le cinéma américain. Après tout « L’attaque du grand rapide » de Edwin S.Porter date de 1903. La plus ancienne trace d’un enregistrement sur ce thème date de 1894 lorsque Buffalo Bill et Annie Oakley posèrent devant le kinescope d'Edison. William K. Everson dira de ce film : « C’est le premier western avec une forme reconnaissable ! » Dès 1911, Henry Hathaway, avant d’être metteur en scène, fera des débuts d’acteur dans des films d’une ou deux bobines. John Ford, le maître incontesté du genre, jouera pour son frère Francis en 1917 et Griffith interprétera un rôle dans un court métrage « The Devil » en 1908. Le premier film dirigé par C.B. De Mille « Le mari de l’Indienne » date de 1914. Jusqu’en 1920, les arguments sont simples et cette production avec des bandes courtes est peu connue. Les années 20 verront apparaître des films plus longs, la technique de la photographie s’étant nettement améliorée.

À partir de cette époque, la majesté des paysages, les situations épiques, « La caravane vers l’Ouest » de James Cruze, de 1923, se développent. Il y aura dans ce film 3000 figurants dont 1000 Indiens. Puis viendra « Le cheval de fer » de Ford en 1924 qui est, ni plus ni moins, l’histoire de l’Union Pacific Railroad. Dès le début du parlant « La piste des géants » de Raoul Walsh, de 1930, raconte l’ouverture de la piste de l’Oregon. Pour l’anecdote, ce film sera tourné en 70 mm, par une équipe de 14 opérateurs, avec un John Wayne totalement inconnu du public et n’aura aucun succès. Le western de l’époque ne rassemblait guère de spectateurs dans les salles. Des films comme « Billy the Kid » de King Vidor, de 1930, ainsi que « The Squaw Man » de C.B. De Mille, de 1931, méritent pourtant encore d’être vus. Déjà, les séries B marchaient plutôt bien avec des héros comme Gene Autry ou Roy Rogers dans des rôles de cow-boys chantants. John Wayne s’y plia sans plus de conviction. D’autres westerns musicaux (Horse opéras) seront interprétés par des noirs comme dans « Harlem on the prairie » de Sam Newfield de 1938. Dans l’intervalle, le western de qualité renaîtra avec « La légion des damnés » de Vidor, en 1936, et à partir de 1939, les thèmes traités se multiplieront comme dans « Pacific express » de De Mille et en 1941 et dans « La charge fantastique » de Walsh.

Le passage à la couleur vers les années 40 donnera du corps aux westerns. La montée des périls en Europe ne sera pas étrangère à certains thèmes moralisateurs comme en 1946 « La poursuite infernale » avec Henry Fonda dans le rôle de Wyatt Earp. Dès 1948, la cavalerie américaine reviendra souvent comme un message d’ordre et de sécurité : « Le massacre de fort Apache » en 1948, « La charge héroïque » en 1949, « Rio grande » en 1950. C’est à cette époque que se formeront des communautés d’équipe autour de John Ford avec son ami John Wayne et d’autres comme Ward Bond, Jack Pennick et Ben Johnson. C’est à cette époque, en 1948, que Ford réalise « Le fils du désert » et avec l’introduction du technicolor, ses archétypes de personnages s’en trouvent renforcés. Pour la petite histoire, il ne fit jamais l’unanimité ; les plus modérés le trouvaient de parti pris et les autres… fasciste, contrairement à Vidor qui fit aussi des chefs d’œuvres comme « Duel au soleil » en 1947. Henry King et King Vidor introduisirent dans le western la dimension lyrique et dramatique. On peut y ajouter Hathaway avec « L’attaque de la malle-poste » en 1951. Des personnages plus près de la réalité apparaissent : des déracinés, des errants, des individualistes, des radicaux voire des anarchistes ! Comme chez Hawks. Le mauvais sauvage sera considéré sous un nouvel angle avec sa culture et sa dignité propre. Viendront aussi des candidats à la psychanalyse comme dans « La vallée de la peur » de Walsh, en 1947. Le western est influencé par le film noir.

Le meilleur est pour maintenant : « La porte du diable » d’Anthony Mann de 1950, « La flèche brisée » de Daves, et ces deux merveilles de 1970 : « Little Big Man » d’Arthur Penn et « Soldat bleu » de Ralph Nelson. Mais le western pro-indiens a toujours existé : « Hondo, l’homme du désert » de John Farrow en 1953, « Bronco Apache » d’Aldrich en 1954, « Taza fils de Cochise » de Douglas Sirk, « Les rôdeurs de la plaine » de Siegel en 1960 et « Willy Boy » d’Abraham Polonsky en 1969. Le bon blanc et le mauvais indien, devenus caricaturaux, on verra même des idylles entre les deux ethnies dans « La captive aux yeux clairs » de Howard Hawks en 1952 ou « La rivière de nos amours » d’André de Toth en 1955. L’interrogation explicite du racisme dans le western est un phénomène qui date de la fin des années 40.

Mais le western pouvait être aussi un prétexte pour expliquer la dramaturgie de certaines scènes comme dans « Le train sifflera trois fois » de Zinnemann de 1952 ou « L’homme des vallées perdues » de Gorge Stevens de 1953 ou également « La dernière chasse » de Richard Brook de 1956. Pour moi, les meilleures études de personnages sont dans « Le dernier train de Gun Hill » de John Sturges de 1959 ou encore dans « L’homme aux colts d’or » d’Edward Dmytryk et si les metteurs en scènes se sont si souvent servis du western, c’est sûrement à cause de sa popularité qui leur apportait une bonne audience. Certains films furent à la fois humanistes et d’une grande qualité esthétique : « La colline des potences » avec Gary Cooper en 1959 en fait partie ainsi que « Trois heures dix pour Yuma » en 1957 de Delmer Daves.

De grandes actrices prêteront leur nom au western : Joan Crawford dans « Johnny Guitar », Marilyn Monroe dans « La rivière sans retour », Marlène Dietrich dans « L’ange des maudits ». La période de 1950 à 1965 sera d’une étonnante richesse. Pour n’en citer que quelques-uns : « La chevauchée des bannis » d’André de Toth, en 1959, Samuel Fuller avec « Le jugement des flèches » de 1957, Henry King avec « Bravados » en 1958, Raoul Walsh avec « Les implacables » en 1955, Henry Hathaway avec « Les quatre fils de Katie Elder » en 1965 et « Les Cheyennes » de John Ford en 1964. Budd Boetticher dirigera bien souvent Randolph Scott : « 7 hommes à abattre », « Le courrier de l’or », « La chevauchée de la vengeance »... Il y eut tant de beaux westerns que je ne résiste pas à récidiver avec une dernière série ! « La prisonnière du désert » de 1956 et « L’homme qui tua Liberty Valance » de 1962 de John Ford, « Nevada Smith » de 1966 et « Cinq cartes à abattre » de 1968 d’Henry Hathaway.

Malgré l’abondance de cette production, le cinéma hollywoodien subira une crise dans les années 60 dont le western n’échappera pas. Ensuite, le modernisme s’infiltrera dans le genre. Ce sera une bicyclette dans « Butch Cassidy et le kid » de Roy Hill en 1969, une automobile dans « Cable Hogue » de Peckinpah en 1970 et le western ne sera pas épargné par les idéologies des grandes puissances et le capitalisme. Ça transpire dans « John McCabe » d’Altman en 1971, dans « Les moissons du ciel » de Malick en 1978, dans « La porte du paradis » de Cimino en 1980 ou dans « La horde sauvage » de Sam Peckinpah en 1969. La violence et le sadisme finiront par envahir le western.
Robert Warshow disait : « Les deux créations les plus réussies du cinéma américain sont le gangster et l’homme de l’Ouest ! » et John Ford : « Quand la légende devient réalité, il faut imprimer la légende ! » Une chose est sûre, le western restera une source de symboles et de mythes, il est indissociable de la naissance d’une nation : l’Amérique !

 
 
 
 
 
   
   
20e séance
   
             
   
Dans les seconds rôles masculins français des années 30, je commencerais par le plus truculent : Aimos, pseudonyme de Raymond Caudrilliers, est né à La Fere en 1889. Le meilleur qualificatif que l’on peut lui donner : dégingandé, une allure à la André Pousse, l’œil malin, la gouaille, un titi parisien. Ce fut l’un des plus populaires seconds rôles de l’âge d’or du cinéma français. Le parlant lui apporte ses premiers rôles. Sa célébrité tint à sa verve et son naturel pour des personnages de copains à la vie, à la mort. On le verra dans « Quai des Brumes » de Carné en 1938, « La Bandera » de Duvivier en 1935 et il sera d’ailleurs un peu le second rôle attitré de Duvivier. On le reverra dans « Le Golem » en 1935, « La Belle Équipe » et « L’homme du jour » en 1936. Il était très aimé du public. Il mourra sur les barricades à la libération de Paris le 22 août 1944.
 

 
   
Autre second rôle, Alcover est presque un personnage de BD avec son long nez, ses cheveux gominés plaqués sur le crâne et son regard vif de rapace. Il est né à Châtellerault en 1893. Il débute à l’Odéon après un premier prix de conservatoire, puis à la Comédie-Française, avant de se consacrer au cinéma. Une présence puissante dans des films d’avant-garde, « Champi-Tortu » de Jacques de Baroncelli en 1921 et « Feu Mathias Pascal » de Marcel l’Herbier en 1925 l’avait fait connaître du temps du muet. Il eut cependant un grand premier rôle (l'affiche originale mentionne uniquement son nom sur l'affiche avec celui du réalisateur) dans « l'Argent » de Marcel l'Herbier en 1928 et d'autres rôles importants dans des films quasiment invisibles de nos jours. Au début du parlant, on ne le retrouve que dans des rôles de comparse pour des vaudevilles, des policiers, et pire... des drames patriotiques. Il ne faut que se souvenir de deux apparitions remarquables dans « Un carnet de bal » de Duvivier en 1937 et « Drôle de Drame » de Carné en 1937. Il mourut en 1957.
   
   
André Jaubert, né en 1907, pseudonyme Andrex n’aurait pas pu exister au cinéma sans l’amitié de Fernandel grâce à qui il fit une carrière honnête. Après avoir été chanteur à l’Alcazar de Marseille puis au Concert Mayol à Paris, il obtiendra son premier rôle au cinéma dans « Angèle » de Pagnol en 1934 puis dans « Un carnet de bal » de Duvivier en 1937. Ce sera ensuite « Hôtel du Nord » de Carné en 1938 et « Fric-frac » de Lehman en 1939. Sa bonne tête lui fera endosser le masque de personnages méridionaux dans « Honoré de Marseille » de Maurice Regamey en 1956 et dans « Sous le soleil de Provence » de Soldati en 1956... il s’éteindra à Paris en 1989.
   
   
Quant à Charpin, né en 1887, il sera très vite connu grâce à Pagnol. Charpin, c’est Pagnol et Pagnol, c’est Charpin ! Grâce à son sens inné de la réplique, il jouera dans « César » en 1936, dans « La Femme du Boulanger » en 1938 et dans « La Fille du Puisatier » en 1940. Lorsque l’on prononce le nom de Charpin, on entend déjà chanter les cigales. Mais il ne sera pas limité aux rôles méridionaux comme en attestent « Pépé le Moko » et « La belle équipe » de Duvivier en 1936. Grande verve, grande assurance, Charpin avait tout pour faire un premier rôle. Il était, j’ai le regret de le dire pour ses détracteurs, aussi bon que Raimu. Charpin est mort en 1944.

   
   
Celui qui aurait pu jouer du Molière, c’est Saturnin Fabre tant sa diction était incroyable. Né en 1883, on pourrait dire de cet homme qu’il était habillé d’une folie grandiose ; il donnait à ses rôles un relief extraordinaire, un caractère d’ambiguïté, tour à tour comique ou inquiétant. Il en eut de très beaux dans « Pépé le Moko » de Duvivier et dans « Messieurs les ronds de cuir » d’Yves Mirande en 1936, puis dans « Désiré » de Sacha Guitry en 1937. Également dans « La Nuit Fantastique » de Marcel L’Herbier en 1942, « Marie-Martine » d’Albert Valentin en 1943, « Les Portes de la Nuit » de Carné en 1946 et « La Fête à Henriette » de Duvivier en 1952. Il mourut en 1961.
   
   
Sûrement moins connu, Alerme, né à Dieppe en 1877 était l’homme tout en rondeur du cinéma français. Tous les chemins semblent mener à Rome car ce sera après avoir renoncé à la médecine et à la sculpture qu’il débuta à l’écran dans les années 20. Il fut aussi un acteur de scènes de boulevard. Il faut résumer sa carrière car il ne fit pas moins de 70 films. Les plus connus restent « La kermesse héroïque » de Feyder en 1935, « L’homme du jour » de Duvivier en 1936, « Paradis perdu » d’Abel Gance en 1940, « Le jour se lève » de Carné en 1939. Il mourut en 1960.
   
   

Gabriel Gabrio, un personnage oublié de tous qui fit une remarquable apparition dans « Les Misérables, l’évasion de Jean Valjean » d’Henri Fescourt en 1925. Il est né à Reims en 1888 et sera une grande vedette des années 20. Il s’adaptera très vite au parlant dès 1935 et fera une remarquable apparition dans « Regain » de Pagnol en 1932 et dans « Pépé le Moko » de Duvivier en 1936. Puis, d’un seul coup, il sera condamné aux seconds rôles. Le destin lui avait définitivement joué un mauvais tour. Il mourut en 1946.
   
   

Celui dont le regard pétillant ne trompe personne, Marcel Peres (pseudonyme de Marcel Farenc) est né à Castelsarrasin en 1898 et fait rare, il débute sur les planches dans des spectacles forains de son beau-père. En 1924, il montera à Paris pour y faire de la figuration dans des films muets. On le connaîtra grâce à ses parrains de cinéma : Jean Gabin et Roger Blin. Le premier le fera engager dans « Variétés » de Nicolas Farkas en 1935 et le second dans « Mollenard » de Robert Siodmak en 1938. Il deviendra le personnage le plus bourru du cinéma français. Il n’arrêtera plus de tourner : « La Charette fantôme » de Duvivier en 1939, « Goupi mains-rouges » de Becker en 1943, « Les enfants du paradis » de Carné en 1944 et « Un drôle de paroissien » de Mocky en 1963.Pour l’anecdote, son dernier film « Le fantôme de la liberté » de Buñuel sortira un mois après sa mort le 28 juin 1974.
   
   
On peut également citer un ami de Picasso et de Modigliani, Gaston Modot, né à Paris en 1887 ; il fut lui-même peintre avant de passer au 7e art en 1910. Il fit une carrière prestigieuse, cinquante années de travail pour le cinéma. Il incarnera avec la même désinvolture les traîtres, les figures patibulaires, les comiques et les héros de drames. Il sera admirable dans « L’Opéra de Quat’sous » de Georg Wilhelm Pabst en 1931, « La grande illusion » et « La règle du jeu » de Renoir en 1937 et 1939, « Les Enfants du Paradis » de Carné en 1944, « Rendez-vous de juillet » de Becker en 1949 et dans les trois films phares de sa carrière : « La Bandera » en 1935, « Pépé le Moko » en 1936, « La fin du jour » en 1939. En plus de la peinture et du métier d’acteur, il écrira aussi des scénarios. Il mourut en 1970.
   
   
Évidemment, on ne peut pas oublier Pierre Renoir, le fils aîné du peintre. Il est né à Paris en 1885 et débutera au théâtre avec Valentine Tessier qui fut sa compagne dans la vie pendant quelques années. Il jouera beaucoup dans les années 30, toujours dans la troupe de Louis Jouvet, il deviendra même une véritable tête d’affiche dans des emplois comparables à ceux de Raimu ou Harry Baur. Ses meilleurs films restent « La Bandera » de Julien Duvivier en 1935, « La Marseillaise » en 1938 de son frère Jean Renoir, « La Maison du Maltais » de Pierre Chenal en 1938, « Dernier Atout » de Becker en 1942, « Le Loup des Malveneur » de Radot et « Les Enfants du Paradis » de Carné en 1944. Il mourut en 1952.
   
   
J’ai gardé pour la fin le destin étrange d’un homme aux yeux de condor des Andes qui est mort à Buenos-Aires en 1972 : Robert le Vigan (pseudonyme de Robert Coquillaud) né à Paris en 1900. Il sortira du conservatoire en 1918, fera un début de prestigieuse carrière au théâtre puis se sera le cinéma avec « Les cinq gentlemen maudits » de Duvivier en 1931 qui fera de nouveau appel à lui en 1933 pour être le fou dans « Le petit roi ». Jean Renoir lui confiera le rôle du marchand d’étoffe dans « Madame Bovary » en 1934 et il portera comme des stigmates une prodigieuse silhouette de prophète halluciné en incarnant le Christ dans « Golgotha » de Duvivier en 1935. Toujours avec le même « La Bandera » en 1935 puis suivront « Regain » de Pagnol en 1937, « Quai des Brumes » de Carné en 1938, « Goupi mains-rouges » de Becker en 1943. Viendra ensuite la période trouble qui précipitera sa vie et sa carrière dans le néant : 1944, il fuit à Sigmaringer avec son ami Louis-Ferdinand Céline qui l’avait entraîné dans la collaboration. Arrêté, il sera condamné à 10 ans de réclusion de travaux forcés et à l’indignité nationale à vie. Mis en liberté conditionnelle, il gagnera l’Espagne puis l’Argentine où il tournera encore quelques petits films insignifiants. Malraux aurait pu dire : « la guerre est un effrayant révélateur de la condition humaine » (dixit la voix royale)...
   
 

   

 
   
   
Entracte 10
   
             
      Suzanne Flon 1918-2005      
 

 
On nous assomme avec les superstars, des vedettes qui descendent l’escalier, à Cannes, avec des tonnes de tissu accrochés aux hanches, mais s’il en est une qui m’a toujours fait grande impression par sa douceur, sa pudeur, sa voix aux intonations basses mais toujours audible, son charme décalé dans une époque où certaines en font trop, les plongeant dans la caricature façon Daumier, c’est Suzanne Flon !

Elle est née au Kremlin-Bicêtre en 1923. Après une représentation d’Andromaque, elle déclare à ses parents qu’elle sera comédienne mais il n’en est pas question, le métier présente bien trop de compromissions. Qu’à cela ne tienne, elle fait des études d’anglais en attendant son heure. Elle trouve un emploi d’interprète au Printemps, rencontre Edith Piaf et devient sa secrétaire. Une façon comme une autre d’aborder le monde du spectacle. En 1947, Raymond Rouleau la remarque. Elle débute au théâtre sous le pseudonyme d’Anne Lancel. Elle se fait connaître dans « Le Mal court » d’Audiberti et elle ne quittera plus le métier de la scène qui l’accaparera, ne lui laissant que peu de temps pour le cinéma, avec un regret toutefois, celui de n’avoir jamais joué Racine et Marivaux. Elle a pourtant abordé les plus grands, de Goldoni à Pirandello en passant par Musset, Tchekhov et bien d’autres.
Elle débute cependant au cinéma dans « Capitaine Blomet » d’Andrée Feix en 1947. Ensuite, Huston l’engagera pour « Moulin Rouge » en 1953 et, tenez-vous bien, Orson Welles pour « Monsieur Arkadin » en 1955. Lorsque l’on songe à l’intransigeance d’un Welles, on sait qu’elle fera son chemin. En 1960, Claude Autant-Lara lui donne l’un de ses plus beaux rôles, la mère d’un objecteur de conscience dans « Tu ne tueras point ». Un rôle d’une puissance incontestable.
Puis ce sera, pour n’en citer que quelques uns : en 1962 « Un singe en hiver » de Henri Verneuil, et « Le Procès » d’Orson Welles, puis en 1964 « Le Train » de John Frankenheimer, en 1967 « Tante Zita » de Robert Enrico et « Le Franciscain de Bourges » de Claude Autant-Lara, en 1969 « Jeff » de Jean Hermann et « Sous le signe du taureau » de Gilles Grangier. La liste est considérable, presque toujours dans des seconds rôles, ce qui fait que le public ne la portera jamais aux nues. Malgré tout, elle tournera avec beaucoup de régularité pour de grands cinéastes. En 1971, « Térésa » de Gérard Vergez puis « Monsieur Klein » de Joseph Losey en 1976. Mais sa vérité, c’est le théâtre !
Au cours des années 80, on la revoit avec beaucoup de plaisir interpréter des rôles modestes mais remarqués. Dans « L’été Meurtrier » de Jean Becker en 1983 puis « En toute Innocence » de Alain Jessua en 1988. Un autre superbe film « La Vouivre » de George Wilson en 1989 et « Gaspard et Robinson » de Tony Gatlif en 1990.
Ses derniers films seront : en 2002, « La fleur du mal » de Chabrol et « Effroyables jardins » de Jean Becker, en 2003 « La demoiselle d’honneur » de Chabrol, en 2004 « Joyeux Noël » de Christian Carion et en 2005 « Fauteuils d’orchestre » de Danièle Thompson. Elle n’a jamais cessé de tourner.

Suzanne Flon promène un souffle de vie au-dessus de nos têtes, une douce brise marine qui ne peut venir que de l’océan ; elle est une des fées de Neptune dans un monde qui s’attarde trop souvent sur le superficiel. À force de ne plus savoir regarder, sentir, toucher, on devient infirme du cœur sans s’en rendre compte. Celui de Suzanne Flon était très beau. Il avait un goût de miel et d’eau saline. Je suis très heureux de m’être offert, en ce jour, le luxe de ne pas l’avoir oubliée.
 

 
       
   
     
suite…
 
 



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